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La
dignité humaine:
La dignité de la personne
humaine
C’est en
défendant les valeurs morales du christianisme et l’éthique qui en
découle que l’Eglise entend formuler sa doctrine sociale. Mais, au
moment où elle propose une certaine conception sur les rapports sociaux,
dans lesquels sont engagés des hommes concrets, elle se fonde sur une vision
spécifique de l’homme, construite à partir des vérités révélées
dont elle est l’interprète autorisé. Ainsi, «l’examen
de la norme morale renvoie à l’anthropologie»
[1]
.
En effet, tout
l’enseignement social des papes s’organise autour de la notion de dignité
de la personne humaine. Ce noyau dur constitue le point de départ pour
toute position que le Saint Siège prend à l’égard des situations
particulières et pour toute solution qu’elle en offre. C’est à
travers la définition de la personne au moyen de sa dignité ontologique
qu’est affirmée la centralité de l’homme dans la vie économique et sociale
et qu’est précisée la forme et la fonction que doivent emprunter les «structures
essentielles» de l’espace économique et politique.
La totalité des
enseignements de l’Eglise se fonde sur le mystère de Jésus-Christ homme
et Dieu. Aussi, c’est tout à fait légitime, et même nécessaire,
que l’Eglise procède-t-elle dans son entreprise doctrinale sur le terrain
des relations économico-sociales par une définition de la vraie nature de
l’homme qui renvoie à ce mystère. Par rapport aux valeurs ainsi
établies, qui acquièrent le statut de pierre angulaire de son enseignement
social, l’Eglise peut, par la suite, dire ce qui est bien et ce qui est
mal, établir le juste et l’injuste dans le problème de la nature et
de la structure de l’espace socio-économique.
Conséquemment,
la doctrine sociale catholique commence par l’affirmation de la dignité
de la personne humaine, fondée dans l’acte de la Création de l’homme à
l’image de Dieu et enrichie et anoblie à travers l’Incarnation. Dans
une allocution tenue en 1948, Pie XII affirme, dans le sillage de ses prédécesseurs,
que la «proposition ne varietur pour l’Eglise» doit être formulée de la sorte : «L’homme
est image de Dieu, un et trine, et partant lui aussi, personne, frère
de l’homme Jésus-Christ et, avec lui et par lui, héritier de la vie éternelle
: voilà quelle est sa véritable
dignité»
[2]
.
Bien
évidemment, on affirme de cette manière le caractère absolu de
la dignité humaine qui ne s’enracine en aucun aspect de l’existence - courant
ainsi le risque d’être mise en doute et contestée à partir d’autres
points de repère -, mais trouve son fondement au-delà de l’homme,
dans son rapport avec la divinité. Fondée sur un mystère, elle emprunte
de son intangibilité, acquérant ainsi une valeur d’axiome qui justifie une
critique, sans être, en aucun cas, objet de critique.
D’autre
part, en raison même de son fondement surnaturel, cette notion de dignité
dont la valeur se laisse découvrir à travers la religion, pourrait
non pas être mise en question, mais rejetée tout simplement comme inaccessible.
Or, par un raisonnement similaire à celui qui conduit à l’affirmation
de l’identité (incomplète) du fondement des sources de sa doctrine
- Révélation et droit naturel -, l’Eglise postule que ce n’est pas exclusivement
par la Révélation que l’on aboutit à la connaissance de la vraie nature
humaine, mais que l’homme, à l’aide de sa raison qu’il tient toujours
de son Créateur, est capable de connaître sa propre nature, de se découvrir
comme valeur, il est vrai à un niveau inférieur de connaissance. En
bref, on argumente, dans la logique thomiste, que, du moment que la vérité
est unique, raison et Révélation ne sauraient se contredire.
Avec
l’affirmation de la dignité humaine est déclarée, aussi et au-delà
de tout doute, l’égalité ontologique des personnes qui «réside dans le fait
que tous, ayant la même nature, sont appelés à la même éminente
dignité de Fils de Dieu, et en même temps que, une seule et même
foi étant proposée à tous, chacun doit être jugé selon la même
loi et recevoir les peines ou les récompenses suivant son mérite»
[3]
. Certainement, l’égalité dont il s’agit ici est
bien une égalité en valeur qui se traduit, premièrement, par une égalité
de traitement et par un respect égal dű à tout homme, et, par
conséquent, elle n’implique pas de manière nécessaire une égalité de
fait au sein de la société et n’appelle, non plus, la nécessité d’une telle
situation. Au contraire, il y a, dans les relations entre les hommes, «une
inégalité de droit et de pouvoir qui émane de l’Auteur même de la nature»
[4]
. En effet, la société s’ordonne et se meut spontanément
justement à travers cette «inégalité de droit et de pouvoir», mais
celle-ci est toujours sous-tendue par l’égalité en dignité puisque «les
différences de statut s’estompent derrière la similitude des destinées
d’hommes crées par Dieu et voués à l’éternité»
[5]
.
La valeur de l’homme concret. Imperfection
et diversité
Du
moment que cette dignité de la personne est intouchable puisque surdéterminée,
il n’y aurait aucune raison pour l’Eglise de construire un discours spécifique
sur les questions sociales. Or, le caractère absolu de la dignité ne
sert pas à motiver une indifférence par rapport aux vicissitudes de
la vie sociale. Au contraire, les documents pontificaux s’appliquent justement
à démontrer que l’«enjeu» de la vie sociale réside dans la transformation,
aussi parfaite que possible, de cette qualité ontologique en qualité existentielle.
En
effet, les encycliques des Souverains Pontifes, prenant position sur la
«question sociale» ne s’adressent pas à des «morts en sursis», ni n’invoquent,
non plus, un homme de l’état de nature ou bien un homme à refaire.
Bien au contraire, la dignité est l’attribut essentiel de l’homme concret,
tel que l’on retrouve autant dans la peau de l’ouvrier que dans celle du
grand industriel.
Un
tel fondement de l’argumentation permet d’évincer, en fin de compte, toute
considération concernant l’argument de l’appartenance à un certain
groupe ou à une classe sociale en tant qu’incapable de motiver, à
lui seul, un projet social articulé et réalisable. Il est vrai que le discours
de Léon XIII porte essentiellement sur la «condition des ouvriers», mais
il ne s’adresse pas exclusivement à ceux-ci comme partie strictement
délimitée du corps social en conflit contre une autre, mais concerne bien
tous les membres de la société, du moment que tous sont appelés à la
«même éminente dignité de Fils de Dieu».
La
«condition des ouvriers» est le problème devenu urgent pour l’Eglise
dès l’époque de Léon XIII. Elle justifie le discours, mais ne l’épuise
pas. Au contraire, les problèmes qui deviennent évidents dans ces milieux
sociaux témoignent d’un état maladif de la société en son ensemble que l’Eglise
entend guérir. Par conséquent, c’est sur la société entière que sont
projetés les propos du magistère ecclésiastique. D’ailleurs, en ce
sillage, ce sera une caractéristique longtemps propre à la démocratie
chrétienne de surmonter toute différence de cette nature, en proposant des
programmes à dimension inter-classiste.
A
cette universalité du discours s’ajoute une compréhension spécifiquement
chrétienne de la condition humaine, plutôt réaliste que pessimiste, qui
détermine le trait propre aux solutions proposées par l’Eglise - solutions
dont l’application est inévitablement partielle et toujours insuffisante
- et qui, plus tard, va justifier, devant toute tentation d’un Etat-providence,
la portée nécessairement limitée et, dans un certain sens, précaire de l’action
de l’instance étatique. Il s’agit d’une compréhension de la nature humaine
qui incorpore imperfection et diversité.
Affirmer
l’imperfection de la nature humaine c’est dire que la personne, toujours
digne, abrite le mal au sein même de sa nature. Ce mal accompagne de
manière nécessaire toute oeuvre humaine et la rend incomplète
et toujours à améliorer, en la privant en même temps de toute
chance d’atteindre la perfection. C’est par cette acceptation, résignée
pour ainsi dire, du mal, que la pensée sociale catholique devient essentiellement
anti-utopique. Ainsi, tout projet qui se propose de faire descendre sur
la terre la «cité de Dieu», quelle que soit l’image qu’on lui attribue,
est voué, dès le début, à l’échec. C’est dans cette perspective
que se situe, au moins en partie, la critique que l’Eglise adresse à
toutes les solutions fournies par les courants socialistes qui, au-delà
de leurs différences, partagent la même volonté d’instaurer le bonheur
complet sur la terre. Or, en fin de compte, vouloir parfaire la nature humaine
c’est combattre contre cette nature, en s’appliquant à lui enlever
une dimension qui lui est inhérente.
Par
conséquent, la réflexion sociale catholique invoque l’homme que lui offre
l’histoire, absolument digne, mais, à la fois, muni de toutes les imperfections
qu’il tient de sa nature et non pas de la société ou de n’importe quelle
cause qui lui serait extérieure.
Accepter
la condition humaine, ce à quoi exhorte Léon XIII, c’est accepter aussi
la diversité qu’engendre cette nature et agir en conséquence. En visant
explicitement les projets socialistes qui plaidaient pour un nivellement
de la société, nivellement motivé par une exigence d’égalité, le pape s’applique
à démontrer que les différences sociales sont le produit même
de la nature. Par voie de conséquence, vouloir les annihiler amène
nécessairement à un effort vain puisque contre nature. «C’est elle
(la nature), en effet, qui établi parmi les hommes des différences aussi
multiples que profondes, différences d’intelligence, de talent, d’habileté,
de santé, de force, différences nécessaires d’où naît spontanément
l’inégalité de conditions»
[6]
.
Alors,
affirmer la dignité n’équivaut pas à s’efforcer de rendre les hommes
égaux de tous les points de vue. Au contraire, c’est laisser s’épanouir
cette diversité naturelle qu’implique l’inégalité. Dans une logique telle
que celle thomiste qui postule, dans le sillage d’Aristote, que ce qui est
naturel pour un être lui est, à la fois, nécessaire
[7]
, cette diversité ne saurait nuire à la dignité
ontologique de l’homme, mais, par contre, servir à l’épanouissement
de la personne, transformée en diversité fonctionnelle au sein de la société.
«Cette inégalité d’ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme
des individus : car la vie sociale requiert un organisme très varié
et des fonctions fort diverses : ce qui porte précisément les hommes à
se partager ces fonctions, c’est surtout la différence de leurs conditions
respectives»
[8]
.
Dignité,
liberté, égalité
Le
monde terrestre étant ainsi essentiellement divers et imparfait, toute valeur
qui s’y rapporterait ne saurait être que nécessairement relative. C’est
ce sort que doivent partager, inévitablement, la liberté
et l’égalité issues de la modernité
pour redevenir «opérationnelles». Plaçant la dignité ontologique au rang
de valeur suprême, surdéterminée, la pensée sociale catholique procède,
en fait, à une revalorisation des notions de liberté et d’égalité telles
qu’elles sont invoquées par la modernité. Cette revalorisation s’intègre
dans la logique anti-moderne qui traverse la doctrine sociale toute entière,
et se constitue comme argument pour le rejet des solutions avancées par
les libéraux et les socialistes, solutions fausses puisque finalement infondées
et partielles. De fait, le catholicisme social conteste tout ce processus
moderne qui, par une sécularisation et, implicitement, par une rationalisation
de la pensée, arrive à situer les valeurs de liberté et d’égalité au
rang valeurs premières, références ultimes, en les débarrassant de
leur fondement transcendant essentiel - la dignité humaine, encrée dans
la loi naturelle et la Révélation. Dans cette perspective, la modernité
est finalement vue comme une déviation et une errance de la pensée qui,
fournissant des solution telles que le libéralisme ou le socialisme, ne
saurait que courir, inévitablement, la faillite.
A
titre d’observation, il faut dire que ce n’est pas l’Eglise
en premier lieu qui mène à bien cette refondation de la liberté
et de l’égalité comme catégories de la dignité, mais de courants de
pensée adjacents et plus ouverts, le solidarisme
et, surtout, au XXe siècle, le personnalisme,
toujours dans le sillage du catholicisme social. A la suite de cette refonte,
il en résulte, en fin de compte, une vision particulière sur la société
et sur les fonctions de l’autorité qui, refusant toute utopie qui
inciterait à une transformation du statut l’homme, s’articule
autour de la défense de la valeur humaine. En ce sens, le personnaliste
Emmanuel Mounier argumente que «l’affirmation de la valeur absolue
de la personne humaine» ne signifie pas l’assimilation de «la
personne de l’homme à l’Absolu», mais elle veut bien
dire que «la personne est un absolu à l’égard de toute autre
réalité matérielle ou sociale»
[9]
.
La
relation qui s’établit entre dignité, liberté et égalité passe à travers
la question du rapport entre le registre axiologique et le registre concret
[10]
. Ce que la pensée sociale catholique reproche
au libéralisme et au socialisme c’est, en effet, d’avoir rompu, en évinçant
la dignité, le lien nécessaire entre liberté, respectivement, égalité, d’une
part, et les circonstances, d’autre part. C’est l’entrée dans un cercle
vicieux où liberté et égalité, devenues des abstractions, servent à
définir les circonstances au lieu d’être définies par celles-ci. De
surcroît, notions essentiellement relatives, elles ne sont pas véritablement
à même de motiver irréfutablement l’égalité en valeur de tous
les êtres humains. Par exemple, assimiler la dignité à la liberté
revient, finalement, à refuser la dignité à ceux qui ne s’avèrent
pas capables de faire usage de leur liberté. De la sorte, au lieu d’arriver
à l’établissement d’une égalité en valeur comme référence dernière,
on n’aboutit qu’à la mise en place d’une échelle des capacités qui
légitime l’idée d’une inégalité fondamentale entre les hommes.
Or, c’est justement par l’emploi de la dignité
ontologique de la personne comme valeur irréductible que l’on réussit à
éviter toute déviation de cette nature. S’enracinant dans le «lien entre
le créateur et la créature, lien à la fois de l’origine et de la finalité
- l’homme est digne parce qu’il vient de Dieu et parce qu’il va à Dieu»
[11]
, la dignité devient totale, inaliénable et absolument
égale pour tous. L’homme est donné comme «image de Dieu» et il reste comme
tel indépendamment de toute circonstance et même de sa capacité individuelle
de s’élever à la hauteur d’une telle condition. De cette manière,
«se prévaloir d’un mystère - car s’en est un - pour arguer de la valeur
égale de tous les hommes, permet d’échapper à toutes les tentatives
de description de la dignité qui rendront finalement certains hommes plus
dignes que d’autres»
[12]
.
Ainsi,
c’est au nom de la dignité ontologique que la pensée sociale catholique
rejette sans droit d’appel la «Liberté» et l’«Egalité»
proclamées à cor et à cri par la Révolution. Au lieu de la
«Liberté», elle invoque les libertés, à résonance médiévale,
situées dans le registre concret, ordonnant et structurant de manière
fonctionnelle la société. Au lieu d’une désirée «Egalité»
de fait, elle propose l’égalité en valeur, l’égalité en dignité,
qui s’accommode de l’état des choses en exigeant une amélioration,
mais aucunement la tentative de concrétisation d’une utopie. L’homme
étant en lui-même une fin, la liberté et l’égalité ne pourraient
être que des valeurs subordonnées, au service du perfectionnement
de la personne. Ainsi, «la pensée chrétienne fait éclater les catégories
politiques et sociales, non parce qu’elle serait idéale ou ,,pure”,
mais parce qu’à l’inverse elle avance une définition
complète de la dignité et parce qu’elle accepte de vivre les
paradoxes de la finitude au lieu de vouloir les solutionner»
[13]
.
Le contenu de la dignité
La dignité de
la personne subordonne la liberté et l’égalité, mais elle ne se résume pas
à celles-ci. En fait, on déduit des documents pontificaux, même
si ceux-ci n’en parlent pas de manière systématique, que la dignité
a un contenu précis qui réside dans les droits personnels.
Donnant contenu
à la dignité humaine, ces droits personnels sont logiquement antérieurs
à toute considération relative à la vie sociale. C’est dire que,
même si ces droits s’expriment de façon concrète à travers
les relations que les individus établissent au sein de la société, ils existent,
il est vrai de manière abstraite, indépendamment de la société et de
toute entité extérieure à la personne. Par conséquent, l’homme est
déjà personne avant même d’être membre de la société. Ce
n’est pas que l’Eglise invoque, en parlant de ces droits, une abstraction.
Au contraire, elle porte toujours sur l’homme concret, dont la substance
a été définie au moment de la Création, et qui ne saurait être redéfini
par aucune instance purement humaine. Naturellement, un tel raisonnement
implique l’affirmation du caractère imprescriptible et inaliénable
des droits personnels. Dans cette perspective, Pie XII affirme de façon
tranchante que ces droits «l’individu les reçoit immédiatement des mains
du Créateur, non d’un autre homme, ni de groupe d’hommes, non de l’Etat
ou de groupes d’Etats, ni d’aucune autorité politique. Ces droits, l’individu les reçoit d’abord en lui-même
et pour lui même, puis en relation avec les autres hommes et avec
la société, et cela non seulement dans l’ordre de l’action présente, mais
aussi dans celui de la finalité»
[14]
.
Bien qu’il n’y
ait pas de présentation systématique des «droits fondamentaux de la personne
humaine» dans les discours pontificaux, on peut déceler, surtout chez Pie
XII, une énumération qui, sans épuiser nécessairement la liste, peut préciser
le sujet. Ainsi, le pape parle de «droit à la vie, droit à l’intégrité
du corps et de la vie, droit aux soins qui lui sont nécessaires, droit d’être
protégé des dangers qui le menacent (...), droit au développement d’une
vie corporelle, intellectuelle et morale (...), droit au travail comme moyen
indispensable à l’entretien de la vie familiale (...), droit à
l’usage des biens matériels dans la conscience des propres devoirs et des
limites sociales»
[15]
.
Il est évident
que, bien qu’essentiellement personnels, ces droits supposent la vie en
société. En effet, c’est au sein de la société que ceux-ci sont censés être
transposés en droits positifs pour que soient assurées les conditions de
l’épanouissement de la personne. Et ce parce que c’est le «but normatif
de toute société de tendre à réaliser la dignité au mieux de ses possibilités»
[16]
.
Toutefois, mis
en oeuvre à travers le réseau des relations sociales, ces droits restent
essentiellement personnels, et ce caractère se dévoile aussi sous le rapport
de la responsabilité qu’ils impliquent.
En effet, chaque individu, en sa qualité de créature et pourvu par ce fait
même de dignité, porte la responsabilité personnelle et première
de sa condition car ces droits qui le définissent sont orientés de manière
nécessaire vers l’accomplissement de sa nature. Ce devoir est d’autant plus
obligeant qu’il ne se situe que de manière dérivée au niveau des relations
interpersonnelles, concernant essentiellement le rapport ontologique entre
l’homme et la divinité. Il est vrai,
c’est la tâche de la société de garantir le respect concret des droits de
la personne, mais c’est à chaque personne de s’en servir de manière
responsable. En ce sens, Léon XIII affirme qu’il n’est pas «loisible à
l’homme (...) de déroger spontanément à la dignité de sa nature ou
de vouloir l’asservissement de son âme, car il ne s’agit pas de droits dont il ait la libre disposition, mais de devoirs
envers Dieu qu’il doit religieusement remplir»
[17]
.
C’est dans
la même direction que Pie XII dira plus tard que «c’est
en effet à l’homme qu’appartient le devoir entièrement personnel de
conserver et de porter à plus de perfection sa propre vie matérielle
et spirituelle, pour atteindre la fin religieuse et morale que Dieu a assigné
à tous les hommes et leur a donné comme norme morale suprême,
les obligeant toujours et dans tous les cas, antérieurement à tous
les autres devoirs»
[18]
.
Jean-Paul II
approfondit ce thème dans son discours sur les «péchés sociaux».
Du moment qu’il s’agit d’une relation individuelle entre la personne et
la divinité, envers laquelle la première a un devoir fondamental, le
manque à ce devoir ne saurait être que personnel. Conséquemment, il n’y a que
des péchés personnels. La responsabilité
est absolument individuelle, aucunement pas diffuse. Le manque au devoir
renvoie, reconstruisant un trajet parfois confus, à des actes concrets des personnes concrètes. De cette manière, «quand elle parle
de situations de péché ou quand
elle dénonce comme péchés sociaux
certaines situations ou certains comportements collectifs de groupes sociaux
l’Eglise sait et proclame que les cas de péchés
sociaux sont le fruit, l’accumulation et la concentration de nombreux
péchés personnels. (...) Une situation
- et de même une institution, une structure, une société - n’est pas,
par elle-même, sujet d’actes moraux; c’est pourquoi elle ne peut être,
par elle-même, bonne ou mauvaise»
[19]
.
[1]
Jean-Yves Calvez, Jacques Perrin,
op. cit., p. 143.
[2]
Pie XII apud Jean-Yves Calvez, Jacques
Perrin, op. cit., p. 145.
[3]
Léon XIII apud Patrick de Laubier, op. cit., p. 14.
[4]
Léon XIII apud Patrick de Laubier, op. cit., p. 14.
[5]
Chantal Millon-Delsol, Les idées politiques au XXe siècle, Paris, 1991, p. 220.
[6]
Patrick de Laubier, op. cit., p. 39.
[7]
Arthur Utz, Ethique Sociale, Fribourg, 1960, p. 86.
[8]
Patrick de Laubier, op. cit., p. 39.
[9]
E. Mounier apud Chantal Millon-Delsol,
Les idées politiques au XXe siècle,
Paris, 1991, p. 222.
[10]
On reprend ici l’argumentation que fait en la
matière Chantal Millon-Delsol, L’Etat
subsidiaire. Ingérence et non-ingérence de l’Etat: le principe de subsidiarité
aux fondements de l’histoire européenne, pp. 120-126.
[11]
Ibidem, pp. 120-121.
[12]
Ibidem, p. 121.
[13]
Ibidem, p. 124.
[14]
Pie XII apud Jean-Yves Calvez, Jacques
Perrin, op. cit., p. 148.
[15]
Pie XII apud Jean-Yves Calvez, Jacques
Perrin, op. cit., pp. 148-149.
[16]
Chantal Millon-Delsol, op. cit., p. 123.
[17]
Léon XIII apud Jean-Yves Calvez, Jacques
Perrin, op. cit., p. 150.
[18]
Pie XII apud Jean-Yves Calvez, Jacques
Perrin, op. cit., p. 152.
[19]
Jean-Paul II, Réconciliation et paenitentia, in La question sociale, Rome, 1988, p. 71.
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