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Une
conception éthique de la politique
A la recherche
des solutions aux maux et aux injustices dans la vie sociale, les papes
de la doctrine sociale aboutissent à l’élaboration d’un véritable
projet social que l’on peut définir comme un essai de rendre vie à
une société malade, un projet qui acquiert sa cohérence en s’articulant
autour des idées, intimement liées, de dignité humaine, solidarité sociale
et subsidiarité de l’autorité.
Puisant à des sources dont la validité est affirmée universelle, le
projet social catholique, en tant qu’inspirateur des conceptions proprement
politiques, appelle pourtant une conception spécifique de la politique et
une certaine structure de l’organisation politique de nature à donner
effectivement contenu aux valeurs invoqués.
Gouverner une
société de personnes c’est gouverner une société d’ętres
libres. Une telle affirmation calque sur la définition qu’Aristote
donne de la politique comme «art de gouverner des hommes libres».
Refusant se faire équivaloir à une science administrative, la politique
ainsi défini joue avec des volontés diverses et souvent contradictoires,
qu’elle s’applique à harmoniser. «Art de gouverner
les hommes libres», la politique est l’art «de l’équilibre
et du compromis entre des nécessités adverses (...)»
[1]
, dont l’exigence essentielle est la prudence
- la vertu qui fait apercevoir et éviter les dangers et les fautes - pour
pouvoir «oeuvrer à travers les méandres de situations toujours
différentes et aléatoires»
[2]
.
De surcroît, l’action politique ne se voit jamais épuisée.
Censée concrétiser une garantie de la dignité de toutes les personnes qui
constituent la société, elle ne le fait jamais de manière définitive
puisqu’elle s’applique à un univers auquel le mal est inhérent. C’est
pourquoi la solution d’un problème amène inévitablement un autre
à résoudre. Puisant son sens dans une telle vision générale du monde,
l’action politique reconnaît implicitement ses limites. Définie de manière
pragmatique, elle se soumet à la nécessité présente dans le sens de
l’amélioration, substituant à l’idée d’une perfection à réaliser,
un idéal à poursuivre sans, pour autant, prétendre à pouvoir y
toucher.
Si la société
est vue comme solidaire et sa dynamique fondée sur la coopération, l’espace
politique ne saurait contredire cette image. Ainsi, dans une vision aristotélicienne,
il n’est pas le domaine du conflit entre les acteurs politiques, mais
bien l’espace de la collaboration en vue du bien commun universel.
Sur le plan concret, cette exigence se traduit par la réunion, aussi élargie
que possible, des formations politiques, dans une logique de «grande
coalition», dont la constitution appelle plutôt la recherche du consensus
que la mise en exergue des différences. Exemplaire pour cette logique apparaît
l’option que fait, non sans susciter des protestes, Alcide de Gasperi,
le chef de la Democrazia Cristiana
italienne, qui, à la suite des élections de 1948, bien que son
parti avait remporté une victoire claire, se refuse à gouverner seul
justement pour assurer la cohésion du tissu politique et social du pays,
et préfère former le gouvernement avec la majorité des partis (à
l’exception des communistes) de la scène politique italienne.
La vision sociale
chrétienne n’appelle pas seulement la collaboration au sein de la
société et sur la scène politique. Elle invoque aussi la participation
et la responsabilité des acteurs sociaux qui se concrétisent à travers
une articulation de la structure étatique commandée par le principe de subsidiarité.
Ce principe trouve son expression maximale dans une organisation politique
de type fédéral. «Le fédéralisme, défini comme un ,,Etat comprenant
en son sein plusieurs collectivités d’apparence étatique”, exprime
le souci de ne laisser à l’Etat central que des compétences
consenties par les différents groupes sociaux intermédiaires, sans qu’il
abandonne pour autant les tâches jugées nécessaires au bien commun»
[3]
. Reposant sur une construction articulée de bas en haut,
autant du point de vue logique qu’ historique, le système fédéral
est, par excellence, le support moderne de cette effervescence sociale que
les papes invoquaient à propos de la société médiévale. Refusant
une théorie figée de la répartition des compétences, il favorise une compétition
ardue entre les instances sociales qui, visant la protection de leur autonomie,
tendent toujours vers une plus grande efficacité dans l’accomplissement
de leurs tâches propres. De cette manière l’organisation fédérale
est essentiellement dynamique, toujours à refaire, car cette rivalité
entre autorités concurrentes exige une reconsidération permanente du système,
non pas dans sa forme, mais dans son contenu. De par sa nature, le fédéralisme
incite à la participation et à la prise en charge des responsabilités
au plus bas niveau, à l’intensification de l’activité
au niveau local, au plus proche possible du citoyen qui se voit ainsi non
seulement objet, mais surtout
sujet de la politique.
[1]
Chantal Millon-Delsol, L’Etat subsidiaire..., p. 9.
[2]
Ibidem, p. 147.
[3]
Chantal Millon-Delsol, op. cit., p. 217.
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