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Le poporanisme.

Entre populisme et socialisme

 

La réflexion politique, non seulement en Roumanie, mais dans tout l’espace du centre-est européen, se voit coincée entre deux pôles théoriques majeurs, susceptibles d’influer de façon décisive sur la construction des démarches intellectuelles et doctrinaires. Il est, bien sûr, question du socialisme européen d’une part, et, d’autre part, du narodnicisme russe. Dans une telle perspective, le poporanisme, en tant que formule de l’agrarianisme politique, peut facilement trouver des partenaires de dialogue dans la majorité des pays de la région [1] dont le principal problème social et économique se définit toujours en rapport avec la présence massive de la population rurale, chacun de ces partenaires combinant en degrés différents et selon les particularités sociolo-giques, économique et politiques du cas, la mesure d’originalité et d’intelligence avec les influences inévitables des deux courants politiques en question.

La science politique classifie d’habitude l’agrarianisme politique et explicitement le poporanisme [2] sous l’étiquette plus ample du populisme, en l’ordonnant ainsi, en tant que phénomène politique, dans le diagramme de la dynamique politique dessiné au niveau mondial et qui renferme, à titre d’éléments paradigmatiques, le narodnicisme russe et le populisme nord-américain. Bien évidemment, une première justification va de soi : populisme, poporanisme, narodnicisme sont des termes qui renvoient tous vers une même racine étymologique, qu’elle soit exprimée en latin, roumain ou russe. Toutefois, au-delà de cette remarque à valeur plutôt formelle, il y a place pour une question : où convient-il d’identifier le dénominateur commun des ces phénomènes politiques et d’autres de la même famille, comme l’agrarianisme nord-américain du XIXe siècle ou le pérónisme, eux aussi indexés dans la même catégorie compréhensive du populisme. En accord avec les rigueurs conceptuelles imposées par la science politique, le populisme –compris avant tout comme pratique politique – engloberait les stratégies et les justifications politiques qui font appel a la mobilisation du peuple, c’est-à-dire des masses des plus démunies, en faisant économie de la médiation assurée par les institutions et les élites politiques en place [3] .

En Amérique Latine, où la politique comparée identifie les versions les plus caractérisées, le populisme porte en principe sur trois grandes phénomènes politiques en quelque sorte interdépendantes [4] . Tout d’abord, on s’en sert pour qualifier un certain type de mobilisation sociale, direction et propagande politique dont l’accent tombe sur la dimension personnelle, paternaliste et nationale du phénomène. En second lieu, le populisme a été sociologiquement décrit dans les termes d’une coalition sociale hétérogène, animée essentiellement par le prolétariat, mais dirigée d’habitude par des représentants des couches sociales moyennes, voire supérieures, Finalement, le populisme a été associé à un set assez éclectique de politiques mises en oeuvres pendant les époques de «modernisation», politiques censées répondre aux problèmes du sous-développement par l’intégration des travailleurs dans le processus accéléré d’industrialisation à l’aide de certaines mesures modérés de redistribution des ressources et des services.

Muni d’un tel sens, le populisme se présente plutôt comme une catégorie taxinomique de la science politique, plus précisément de l’analyse politique comparée, qu’en tant que concept formulé au niveau de la théorie politique, un cas où la familiarité du langage ne fait qu’accroître la confusion. Bien que, à cause de son caractère notamment descriptif et flexible, le populisme ne puisse aspirer au statut d’idéal-type ou de modèle idéologique, dans la mesure où il peut être appliqué à des expériences si diverses comme le libéralisme, le socialisme et même le nazisme et à des pays tellement différents comme la Russie, les États-Unis ou l’Argentine, il peut néanmoins surprendre une diversité de caractéristiques propres aux périodes de modernisation économique et sociale [5] . On dispose donc d’une grille d’analyse renfermant une série minimale de traits propres au populisme et capable d’inclure ou, par contre, exclure un certain élément [6] .

Selon un tel schéma, les traits élémentaires – partagés donc par la majorité des mouvements classifiés sous cette étiquette – du populisme, considéré du point de vue doctrinaire, seraient, exposés brièvement, les suivantes : faisant appel aux vertus et aux traditions collectives du peuple simple, qui constitue l’immense majorité au sein de la société, le populisme se fonde rarement sur une idéologie fortement articulée, portant le plus souvent la marque, même au niveau de ses représentants intellectuels, d’une puissante tendance anti-intellectuelle, dans la mesure où les intellectuelles appartiennent à une élite sociale instituée (established) qui ignore les besoins et les espoirs du grand nombre; pourtant, le populisme revêt rarement une forme révolutionnaire, reposant sur l’espoir d’une conversion de toutes les parties de la société et surtout des élites en faveur de la majorité; du point de vue de l’organisation économique et de la distribution des biens, le populisme se donne comme idéal le modèle de la coopération volontaire entre petits proprietaires gérée dans un système de marché, où l’Etat, bien que souvent appelé au secours, ne s’érige pas en propriétaire dominant.

Il est vrai que la démarche de Stere rencontre souvent la structure d’un discours de type populiste, notamment pour ce qui est du modèle de l’organisation économique qu’il propose. Sans entrer en détails, disons que, reprenant à son compte la condamnation – fréquente à l’époque – du caractère artificiel et irrationnel du développement de l’industrie roumaine [7] et faisant explicitement recours à l’exemple économique danois, Stere conclue que l’unique solution économiquement rationnelle et juste du point de vue social pour la Roumanie du début du siècle est la formule coopératiste qui situe la petite entreprise agricole à la base du développement économique national.

Néanmoins, il s’éloigne dans une certaine mesure de la ligne populiste.

Premièrement, la prétention d’inspiration marxiste de l’objectivité du discours et de la rigueur des jugements l’empêche de construire son analyse dans le ton pathétique habituel dans le cas des entreprises intellectuelles pareilles :

Poporanismul românesc… este un sistem sociologic care precizează rolul şi locul societăţilor agrare faţă de evoluţia industrială a ţărilor occidentale. Nu a fost vorba în poporanismul românesc de acel cult al primitivităţii rustice…, ci de îndrumarea ştiinţifică şi pozitivă a ţărilor agricole pentru a ţine pasul vremii, fără a se minţi pe ele însele asupra fondului lor agrar, care le impunea o anumită linie de evoluţie. [8]

Il semble donc que le poporanisme s’arroge la tâche d’identifier sans hypocrisie les stratégies et les moyens du progrès dans une société dont les traits spécifiques auraient pu être prises, considérés d’un point de vue différent - surtout de la perspective des théories du développement linéaire - pour de véritables handicapes. Qui plus est, sa démarche est construite suivant une méthode comparative qui, refusant la possibilité d’un repliement hermétique et la mise exclusive en valeur des principes et les pratiques collectives d’un espace social et culturel nettement délimité, fait possible une mise en contexte de l’analyse. Plus précisément, le constat selon lequel la société roumaine est essentiellement un société rurale et agraire passe devant tout jugement de valeur et toute considération sur ses conséquences culturelle, politiques ou économiques, en tant que fait sociologique qui devrait être considéré en tant que tel. Un fait sociologique censé fournir le point de départ de l’analyse et marquer dès le début les ressemblances et les différences, justifier les approches viables et écarter les perspectives inopportunes. Ignorer cette prémisse constitue, à l’avis de Stere, l’erreur fatale et incorrigible des essais social-démocrates roumains. Il s’agit, d’abord, d’une erreur de méthode qui rend d’emblée négative la valeur de vérité de tout développement ultérieur :

De aici rezultă că fiecare ţară, pentru a-şi croi calea spre progresul social, trebuie să studieze condiţiunile proprii. Numai acest studiu poate servi de bază ştiinţifică solidă pentru programele şi organizaţiunile politice [9] .

Ensuite, il est question d’une faute de stratégie politique parce que

rostul doctrinei socialiste, - ca şi al oricărei alta, - nu se poate pune în contrazicere cu condiţiunile înseşi de viaţă ale unui popor, pe cari el nu le poate nici înlătura, nici schimba ? Cine poate jertfi un popor de oameni vii pe altarul unei formule abstracte, chiar dacă ea ar sintetiza cele mai nobile aspiraţiuni ale omenirii [10] .

En second lieu, Stere s’écarte de l’«orthodoxie» populiste dans la mesure oùil se refuse d’adopter une attitude anti-intellectuelle. Par contre, résumant brièvement ses opinions à cet égard, on dirait que la nation roumaine, tel qu’il la conçoit, est une nation à laquelle les paysans donnent corps et les intellectuels esprit. Ses propos sont d’ailleurs bien clairs quant à ce point lorsqu’il affirme que :

… organul naţiunii, care are chemarea să afirme supremaţia ei, mândria ei, puterea ei de viaţă şi stăpânirea ei asupra însuşi destinului istoric, este – pe deasupra tuturor formelor – opinia publică, aşa cum ea se cristalizează în glasul intelectualilor ei. Coroana, guvernele, armata, presa, - ca forţe reprezentative ale naţiunii – sunt în funcţiunea conştiinţei de datorie şi a puterii de reacţiune a intelectualilor : aceştia sunt creerul şi inima corpului naţional [11] .

De sucroît, faisant appel à l’expérience politique social-démocrate et au constat de l’impossibilité d’une organisation politique spontanée et autonome des «masses prolétaires», la présence active des intellectuels dans la vie publique est érigée au rang de condition encadrant la mise en place et le renforcement des institutions sociales – entendues au sens large de pratiques et de comportements collectives – à même de rendre les institutions politiques démocratiques efficaces et durables. Il serait donc question d’une condition sine qua non du processus de modernisation démocratique puisque les intellectuels constituent l’unique groupe capable de prendre en charge cet «apprentissage» politique de la nation.

Défenseur du régime constitutionnel et du suffrage universel, Stere se déclare en même temps conscient de l’invraisemblance des pratiques réellement démocratiques - c’est-à-dire qui prennent en compte une volonté issue d’un «peuple» défini de manière extensive - dans une société dépourvue de l’«enracinement dans la vie publique des institutions et des moeurs» propres à un tel système. Dès lors, soit qu’il s’agit des travailleurs, soit qu’il s’agit des paysans, sa conclusion est la même : c’est parce que les «masses» prolétaires ou paysannes ne peuvent être par elles-mêmes des acteurs politiques, toute forme rationnelle d’organisation politique ne saurait se fonder que sur une étroite collaboration des intellectuels et du «peuple», de la majorité :

În sprijinul ţărănimii, în elementele ei mai conştiente şi mai viguroase, trebuie să vină alte elemente sociale : clasele mijlocii… şi mai ales intelectualii… Numai printr-o colaborare strânsă între toate aceste elemente sociale, într-o acţiune şi organizaţiune politică temeinică, în care cu vremea să intre tot mai multe elemente din ţărănime, în măsura în care pentru ea va fi tot mai accesibilă viaţa politică conştientă şi lupta paşnică şi legală, - numai prin această colaborare se poate asigura rezolvarea problemei ce ni se impune în actuala fază a dezvoltării noastre politice şi sociale [12] .

Troisièmement, l’attitude politique dominante du discours de Stere pourrait, sans doute, être qualifiée de constructive. Il est vrai, le jugement qu’il fait à l’adresse du régime et des pratiques politiques de son époque est loin d’être positif dans la mesure où il condamne l’impuissance des institutions publiques – qui traduisent l’incapacité politique d’une élite coupée de la nation - et les anomalies d’un système qui s’obstine à refuser la participation politique générale, critiquant à la fois l’inaptitude du parlement de donner corps à une volonté nationale et la tendance de l’exécutif de mépriser le sens et la fonction de l’institution représentative.

Pourtant, c’est à une solution éminemment politique qu’il fait appel, à savoir celle de fonder le régime politique sur le suffrage universel mis en ¶uvre dans un régime de proportionnalité. Plus précisément, un tel régime, qui reconnaîtrait pleinement de statut de citoyens à tous les membres de la société et serait projeté sur un corps social fortement structuré et organisé politiquement, ne saurait travailler, par le biais de la représentation politique, de la justice et de l’administration, qu’au bénéfice de la catégorie majoritaire de la société : les paysans.

Autrement dit, la solution politique immédiate et en même temps la plus simple de la question paysanne, censée accompagner de très près la réforme agraire entreprise sur le terrain économique, c’est justement la démocratie, comprise dans le sens consacré par le XIXe siècle, à savoir celui de la participation de tous les citoyens à la vie de la cité au moyens du suffrage universel.

Ajoutons seulement que l’attitude de Stere se révèle à cet égard typiquement «social-démocrate» - au sens européen et contemporain du terme – dans la mesure où la social-démocratie moderne prend contour et définit sa particularité justement autour de la revendication du suffrage universel compris comme stratégie privilégiée de modeler un régime politique mis en question [13] . Autrement dit, c’est d’un esprit moderne dont l’entreprise de Stere témoigne dans la mesure où il érige la représentation populaire au rang de seul moyen démocratique et d’unique instrument politiquement recommandable et universellement acceptable afin d’articuler directement et de manière efficace le social et le politique.

Le populisme ne se situe pas dans un rapport conflictuel irréconciliable avec le socialisme. Par contre, en tant que pratique et technique de mobilisation sociale à contenu doctrinaire relativement peu articulé, il peut facilement emprunter la structure argumentative du discours socialiste. Bien sûr, le populisme n’offre pas et ne repose pas sur une idéologie, mais fait d’habitude recours à un ensemble de solutions de conjoncture, plus ou moins viables. Aussi, en lignes générales, dirait-on que, dans la mesure où le populisme, entendu comme mixture bigarré de principes idéologiques et comme pratique politique composite, invoque le thème de la fracture sociale et compte sur un discours à force mobilisatrice, il peut identifier dans les idées socialistes un partenaire digne de confiance.

D’autre part, autant du point de vue théorique que dans une perspective historique, le socialisme a été vu comme une réaction idéologique et politique aux conséquences sociales négatives de l’industrialisation. Par conséquent, considéré comme idéal-type, il s’applique à ré-ordonner les relations de production afin de répondre à une échelle aussi large et d’une façon aussi complète que possible aux exigences de la justice distributive au sein d’une société industrielle. En revanche, le populisme se manifeste souvent sous la forme d’un réplique au problème de l’industrialisation dans des société qui se trouvent dans une «étape» de début de ce processus [14] . En outre, si l’idéal-type socialiste est enclin à proposer une recette universelle du progrès social, le populisme revêt plutôt l’habit d’une formule autogène de développement. Si bien que, refusant d’avancer ou de se soumettre à un modèle général de gestion du progrès, ce dernier tend à faire état des particularités sociales et économiques de la société en cause [15] . Conséquemment, la pratique populiste peut bien puiser à la rhétorique socialiste, en prenant à son compte ses objectifs idéologiques. En échange, elle s’organise le plus fréquemment selon certains «besoins» et certaines particularités politiques, économiques et sociales du milieu.

Sans doute, en dépit de l’attitude extrêmement critique à l’adresse de l’application du projet socialiste en Roumanie, pour des raisons plutôt sociologiques qu’idéologiques, Stere reste un penseur marxiste dans la mesure où le projet qu’il élabore emprunte aux prémisses et aux raisonnements formulés par Marx et surtout dans son sillage. Bien que le projet poporaniste – par sa fidélité à la ligne révisionniste – contredise la viabilité des lois marxistes de l’évolution des sociétés, il reste toutefois un projet de classe, dont les revendications reposent sur les arguments de l’exploitation de classe et de l’injustice sociale et dont le moteur du progrès social est toujours une classe sociale. La classe, le groupe, les masses sont les personnages principaux de son discours, un discours construit dans une perspective définie par le holisme méthodologique. A vrai dire, pour revenir et soutenir le rejet de toute attitude anti-intellectuelle chez Stere, on dirait que, en dernière analyse, l’intellectuel – dont lui-même est le cas de figure - est le seul individu de son scénario, un individu défini avant tout par sa vocation et son mérite, un individu qui est à la fois auteur et acteur – dans un sens hobbessien -, un auteur qui formule la «critique constructive» du système et un acteur dans la mesure où il se fait la voix d’un groupe qui ne saurait encore agir par lui-même.

Au moment où Stere écrit les articles qui constituent Social-democratism sau poporanism, la crise suscitée au sein su socialisme allemand opposant les «orthodoxes» aux «révisionnistes» est encore à la une [16] . Naturellement, Stere rejoint le camp révisionniste dont l’histoire dans la pratique politique trouve sa source justement dans le dilemme suscitée par le rapport problématique entre le programme marxiste et la dynamique économique et politique de l’espace rural [17] . Bien évidemment, l’approche poporaniste prend en cible l’action politique et moins la polémique intellectuelle, elle se voit investie en politiques et moins dans l’innovation doctrinaire. C’est pourquoi, il n’y a rien de surprenant à ce qu’il accentue sur les arguments qui portent sur la question paysanne et sur les rectifications que ceux-ci apportent aux raisonnements d’inspiration marxiste, en laissant en quelque sorte de côté la controverse intellectuelle plus profonde qui sépare les membres d’une même famille philosophique.

Lecteur attentif, voire partisan de Marx – qu’il n’hésite à invoquer souvent à son appui [18] - surtout quant à ses méthodes d’analyse [19] , Stere s’oppose fermement aux interprétations du marxisme orthodoxe, représenté notamment par l’autrichien Kautsky, dont il condamne la rigidité. En effet, comme il a été déjà dit, le prétexte intellectuel de son projet est fournit par la critique d’une approche social-démocrate du progrès dans un pays comme la Roumanie, avec la mention explicite que la social-démocratie c’est «la direction dogmatique du ’socialisme scientifique’, appelée plus ironiquement ’orthodoxe’» [20] . On dirait que son rapport avec le socialisme européen suit assez fidèlement la ligne de la dispute entre orthodoxes et révisionnistes, les thèses bersteiniennes recevant à leur appui des exemples empruntés à la réalité politico-économique roumaine afin d’expliquer l’impossibilité de l’application du programme social-démocrate dans un pays comme la Roumanie :

… în ţările agricole programul social-democrat e o imposibilitate (politică şi sociologică) şi un non-sens. Şi pe lângă aceasta, în ele lipseşte chiar baza materială pentru un partid social-democratic, - proletariatul industrial, a cărui organizare şi luptă politică singură poate duce la cucerirea puterii politice în scopul de a revoluţiona producţiunea. (…) şi chestiunea agrară … este singura problemă proprie ce se impune pentru a fi rezolvată de către societate, - şi rezolvată conform cu tendinţele sociale ale ţărănimii, conform cu interesele ei şi în sensul evoluţiunii proprii a producţiunii agricole (...) şi numai o mişcare, după caracterul ei, ţărănesc, poate fi aci « nu o mişcare a minorităţii în interesul unei minorităţi, ci mişcarea majorităţii covârşitoare în interesul majorităţii covârşitoare » , după cum se exprimă Manifestul Comunist [21] .

Il n’est pas opportun de reproduire ici en détail le développement élaboré par Stere. Disons seulement que son discours s’organise autour de deux thèmes principaux du débat suscité par la question paysanne au niveau européen : les vicissitudes du statut politique et de la fonction sociale du paysan dans la doctrine marxiste et le désaccord entre la dynamique économique agraire et la ligne de l’évolution sociale tracée par le projet socialiste.

Beaucoup plus intéressante dans le cas de notre analyse est la position globale prise par Stere devant les thèses socialistes. Le socialisme se voit ainsi attribuer deux sens contradictoires. D’une part, selon une conception marxiste rigoureuse, le socialisme s’identifierait a l’orthodoxisme de la social-démocratie refusée par Stere, tandis qu’une seconde interprétation, cette fois soutenue et défendue – qui subordonne la première et la transforme en simple cas de figure – équivaudrait le socialisme (seulement) à une clé de compréhension de l’évolution historique, résumant le devenir des sociétés humaines au conflit perpétuel entre deux principes radicalement opposés : la «solidarité sociale» et la «libre concurrence».

Socialismul deci, departe de a fi un produs exclusiv al vieţii economice moderne, în fiecare din aceste faze istorice e reprezentat de acele curente de idei şi de acele clase sociale cari afirmă principiul solidarităţii sociale; socialdemocratismul şi mişcarea proletariatului nu sunt ele însele decât o fază trecătoare, mărginită în timp şi spaţiu în evoluţia ideii de solidaritate socială [22] .

Il est finalement à noter que, pour Stere, le socialisme ne représente plus un véritable projet de société, un projet que l’on convient suivre et dont les conditions d’applicabilité doivent être atteintes ou attendues, mais seulement un «idéal social» dont le triomphe nécessaire se réduit à une «façon de parler» [23] . Autrement dit, la dynamique des sociétés obligerait déjà – au début du siècle – les thèses marxistes de quitter le terrain de l’idéologie pour s’installer dans l’espace, plus modeste et moins aventureux, de l’idéal. De ce point de vue, Stere rejoint de nouveaux la social-démocratie moderne, celle qui a renoncé à la révolution et à l’image d’une société future en faveur de l’amélioration de la société en place au moyen des mécanismes de la démocratie représentative [24] .

 


 



[1] L’agrarianisme politique en tant que phénomène partisan se développe dans la majorité des pays de l’Europe Centrale et Orientale – mais n’est pas pour autant exclusif à cette région géographique, les pays scandinaves fournissant eux aussi un bon exemple – au début du XXe siècle. Par exemple, outre le cas roumain du Parti paysan, on rencontre des mouvements agrariens en Pologne (le Parti paysan Piast), en Bohémie (le Parti des fermiers et des petits paysans), en Serbie (le Parti agraire serbe), en Croatie (le parti paysan croate) et non en dernier lieu en Bulgarie (l’Union Nationale Agraire de Stambolinski). Ce sont des partis qui, bien qu’ils relèvent, en grandes lignes, de la même famille politique, se distinguent souvent radicalement par les stratégies, les méthodes, voir les revendications et les programmes formulés. Pour ne donner qu’un exemple, tandis que les partis polonais et tchèque se déclarent fermement en faveur d’une promotion de leurs programmes dans le respect de l’ordre constitutionnel, les agrariens bulgares n’hésitent à prendre ouvertement une attitude révolutionnaire. C’est à l’Union agraire bulgare qu’appartient l’initiative de la création d’une organisation agrarienne transnationale, organisation qui prendra naissance à Prague, en 1927, sous le nom de l’Internationale Agraire ou Verte, instituée toutefois suite à l’effort des agrariens tchèques et qui, après une courte période de succès relatif, se dissoudra suite à la grande crise économique. Voir surtout Ghiţă Ionescu, «Populism in Eastern Europe» in Ghiţă Ionescu, Ernest Gellner (eds.), Populism. Its Meanings and National Characteristics, Letchworth, 1969, pp. 97-121.

[2] Ghiţă Ionescu, «Populism in Eastern Europe», in Ghiţă Ionescu, Ernest Gellner (eds.), Populism. Its Meanings and National Characteristics, Letchworth, 1969, loc.cit. Dans la même direction va la monographie de Ioan Căpreanu, Eseul unei restituiri. C. Stere, Iaşi, 1988, qui traduit le terme «poporanisme» par «populisme», pp. 438-439.

[3] Daniel Barbu, op.cit., pp. 93-94. L’auteur distingue à cette occasion entre le populisme politique – dont le pérónisme serait la manifestation principale – et le populisme agraire – qui circonscrit le narodnicisme rus, le poporanisme roumain, mais aussi des phénomènes comme le mouvement démocrate-populiste des fermiers américains de W.J. Bryan.

[4] Paul Drake, Socialism and Populism in Chile, 1932-1952, Urbana, Chicago, London, 1978, p. 2.

[5] Ibidem, pp. 6-7.

[6] Peter Wiles, «A syndrome not a doctrine: some elementary theses on populism» in Ghiţă Ionescu, Ernest Gellner (eds.), Populism. Its Meanings and National Characteristics, pp. 199-179.

[7] Stere s’avère intransigeant à cet égard : «Numai interesul, ignoranţa, sau o idee fixă de maniac, poate explica visul industrializării României», Social-democratism sau poporanism, p. 99.

[8] Constantin Stere, «Explicaţii asupra poporanismului», in Aurora, 23 martie 1925. Z. Ornea, Ţărănismul. Studiu sociologic, p. 105.

[9] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 78.

[10] Ibidem, p. 178.

[11] Constantin Stere, Documentări şi lămuriri politice, Bucureşti, 1930,  p. 166.

[12] Constantin Stere, Social-democratism…, pp. 189-190.

[13] Bernard Manin, «Démocratie, pluralisme, libéralisme», in Alain Bergouignoux, Bernard Manin, Le régime social-démocrate, Paris, 1989, pp. 23-56.

[14] Paul Drake, op.cit., p. 6.

[15] Ibidem, p. 7.

[16] Edouard Berstein publie la série d’articles «Probleme des Sozialismus» en 1896, et Die Voraussetzungen des Socialismus und die Aufgaben des Sozialdemokratie, le livre de chevet du marxisme révisionniste, en 1899.

[17] Leszek Kolakowski, Histoire du marxisme, Paris, vol. II, pp. 119-121.

[18] La fréquence des références et des citations des textes marxistes et de l’école marxiste orthodoxe (Karl Kautsky) ou révisionniste (Edouard Bernstein, Fr.O. Hertz), mais aussi de certains auteurs étrangers à cette filiation (Mill, Tocqueville, Compte) dans Social-democratism sau poporanism font de Stere un auteur averti quant au fond intellectuel de l’argumentation. 

[19] Stere avoue ouvertement avoir construit son analyse partant des «prémisses de cette doctrine [marxiste], faisant appel à l’autorité de ses chefs de file, appliquant rigoureusement sa méthode dans l’examen de non problèmes sociaux», Social-democratism…, p. 228.

[20] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 6, n. 1.

[21] Ibidem, p. 50.

[22] Ibidem, p. 230.

[23] Ibidem, p. 122.

[24] Voir Alain Bergouignoux, Bernard Manin, Le régime social-démocrate, Paris, 1989.

 

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