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Le
poporanisme.
Entre populisme et socialisme
La
réflexion politique, non seulement en Roumanie, mais dans tout
l’espace du centre-est européen, se voit coincée entre deux
pôles théoriques majeurs, susceptibles d’influer de façon
décisive sur la construction des démarches intellectuelles et
doctrinaires. Il est, bien sûr, question du socialisme européen
d’une part, et, d’autre part, du narodnicisme
russe. Dans une telle perspective, le poporanisme,
en tant que formule de l’agrarianisme politique, peut facilement
trouver des partenaires de dialogue dans la majorité des pays
de la région
[1]
dont le principal problème social et
économique se définit toujours en rapport avec la présence massive
de la population rurale, chacun de ces partenaires combinant en
degrés différents et selon les particularités sociolo-giques,
économique et politiques du cas, la mesure d’originalité
et d’intelligence avec les influences inévitables des deux
courants politiques en question.
La
science politique classifie d’habitude l’agrarianisme
politique et explicitement le poporanisme
[2]
sous l’étiquette plus ample du populisme,
en l’ordonnant ainsi, en tant que phénomène politique,
dans le diagramme de la dynamique politique dessiné au niveau
mondial et qui renferme, à titre d’éléments paradigmatiques,
le narodnicisme russe et le populisme nord-américain.
Bien évidemment, une première justification va de soi :
populisme, poporanisme, narodnicisme
sont des termes qui renvoient tous vers une même racine
étymologique, qu’elle soit exprimée en latin, roumain ou
russe. Toutefois, au-delà de cette remarque à valeur
plutôt formelle, il y a place pour une question : où
convient-il d’identifier le dénominateur commun des ces
phénomènes politiques et d’autres de la même
famille, comme l’agrarianisme nord-américain du XIXe
siècle ou le pérónisme, eux aussi indexés dans la même
catégorie compréhensive du populisme. En accord avec les rigueurs
conceptuelles imposées par la science politique, le populisme
–compris avant tout comme pratique politique – engloberait
les stratégies et les justifications politiques qui font appel
a la mobilisation du peuple,
c’est-à-dire des masses des plus démunies, en faisant
économie de la médiation assurée par les institutions et les élites
politiques en place
[3]
.
En Amérique Latine,
où la politique comparée identifie les versions les plus caractérisées,
le populisme porte en principe sur trois grandes phénomènes politiques
en quelque sorte interdépendantes
[4]
. Tout d’abord, on s’en sert pour qualifier
un certain type de mobilisation sociale, direction et propagande
politique dont l’accent tombe sur la dimension personnelle, paternaliste
et nationale du phénomène. En second lieu, le populisme a été
sociologiquement décrit dans les termes d’une coalition sociale
hétérogène, animée essentiellement par le prolétariat, mais dirigée
d’habitude par des représentants des couches sociales moyennes,
voire supérieures, Finalement, le populisme a été associé à un
set assez éclectique de politiques mises en oeuvres pendant les
époques de «modernisation», politiques censées répondre aux problèmes
du sous-développement par l’intégration des travailleurs dans
le processus accéléré d’industrialisation à l’aide de certaines
mesures modérés de redistribution des ressources et des services.
Muni d’un tel
sens, le populisme se présente plutôt comme une catégorie taxinomique
de la science politique, plus précisément de l’analyse politique
comparée, qu’en tant que concept formulé au niveau de la théorie
politique, un cas où la familiarité du langage ne fait qu’accroître
la confusion. Bien que, à cause de son caractère notamment descriptif
et flexible, le populisme ne puisse aspirer au statut d’idéal-type
ou de modèle idéologique, dans la mesure où il peut être appliqué
à des expériences si diverses comme le libéralisme, le socialisme
et même le nazisme et à des pays tellement différents comme la
Russie, les États-Unis ou l’Argentine, il peut néanmoins surprendre
une diversité de caractéristiques propres aux périodes de modernisation
économique et sociale
[5]
. On dispose donc d’une grille d’analyse renfermant
une série minimale de traits propres au populisme et capable d’inclure
ou, par contre, exclure un certain élément
[6]
.
Selon
un tel schéma, les traits élémentaires – partagés donc par la
majorité des mouvements classifiés sous cette étiquette – du populisme,
considéré du point de vue doctrinaire, seraient, exposés brièvement,
les suivantes : faisant appel aux vertus et aux traditions
collectives du peuple simple, qui constitue l’immense majorité
au sein de la société, le populisme se fonde rarement sur
une idéologie fortement articulée, portant le plus souvent la
marque, même au niveau de ses représentants intellectuels, d’une
puissante tendance anti-intellectuelle, dans la mesure où les
intellectuelles appartiennent à une élite sociale instituée (established)
qui ignore les besoins et les espoirs du grand nombre; pourtant,
le populisme revêt rarement une forme révolutionnaire, reposant
sur l’espoir d’une conversion de toutes les parties de la société
et surtout des élites en faveur de la majorité; du point de vue
de l’organisation économique et de la distribution des biens,
le populisme se donne comme idéal le modèle de la coopération
volontaire entre petits proprietaires gérée dans un système de
marché, où l’Etat, bien que souvent appelé au secours, ne s’érige
pas en propriétaire dominant.
Il est vrai que
la démarche de Stere rencontre souvent la structure d’un discours
de type populiste, notamment pour ce qui est du modèle de l’organisation
économique qu’il propose. Sans entrer en détails, disons que,
reprenant à son compte la condamnation – fréquente à l’époque
– du caractère artificiel et irrationnel du développement de l’industrie
roumaine
[7]
et faisant explicitement recours à l’exemple
économique danois, Stere conclue que l’unique solution économiquement
rationnelle et juste du point de vue social pour la Roumanie du
début du siècle est la formule coopératiste qui situe la petite
entreprise agricole à la base du développement économique national.
Néanmoins, il
s’éloigne dans une certaine mesure de la ligne populiste.
Premièrement,
la prétention d’inspiration marxiste de l’objectivité du discours
et de la rigueur des jugements l’empêche de construire son analyse
dans le ton pathétique
habituel dans le cas des entreprises intellectuelles pareilles :
Poporanismul
românesc… este un sistem sociologic care precizează
rolul şi locul societăţilor agrare faţă
de evoluţia industrială a ţărilor occidentale.
Nu a fost vorba în poporanismul românesc de acel cult al primitivităţii
rustice…, ci de îndrumarea ştiinţifică şi
pozitivă a ţărilor agricole pentru a ţine
pasul vremii, fără a se minţi pe ele însele asupra
fondului lor agrar, care le impunea o anumită linie de evoluţie.
[8]
Il semble donc
que le poporanisme s’arroge
la tâche d’identifier sans hypocrisie les stratégies et les moyens
du progrès dans une société dont les traits spécifiques auraient
pu être prises, considérés d’un point de vue différent - surtout
de la perspective des théories du développement linéaire - pour
de véritables handicapes. Qui plus est, sa démarche est construite
suivant une méthode comparative qui, refusant la possibilité d’un
repliement hermétique et la mise exclusive en valeur des principes
et les pratiques collectives d’un espace social et culturel nettement
délimité, fait possible une mise en contexte de l’analyse. Plus
précisément, le constat selon lequel la société roumaine est essentiellement
un société rurale et agraire passe devant tout jugement de valeur
et toute considération sur ses conséquences culturelle, politiques
ou économiques, en tant que fait sociologique qui devrait être considéré
en tant que tel. Un fait sociologique censé fournir le point de
départ de l’analyse et marquer dès le début les ressemblances
et les différences, justifier les approches viables et écarter
les perspectives inopportunes. Ignorer cette prémisse constitue,
à l’avis de Stere, l’erreur fatale et incorrigible des essais
social-démocrates roumains. Il s’agit, d’abord, d’une erreur de
méthode qui rend d’emblée négative la valeur de vérité de tout
développement ultérieur :
De
aici rezultă că fiecare ţară, pentru a-şi
croi calea spre progresul social, trebuie să studieze condiţiunile
proprii. Numai acest studiu poate servi de
bază ştiinţifică solidă pentru programele
şi organizaţiunile politice
[9]
.
Ensuite, il est
question d’une faute de stratégie politique parce que
rostul
doctrinei socialiste, - ca şi al oricărei alta, - nu
se poate pune în contrazicere cu condiţiunile înseşi
de viaţă ale unui popor, pe cari el nu le poate nici
înlătura, nici schimba ? Cine poate jertfi un popor
de oameni vii pe altarul unei formule abstracte, chiar dacă
ea ar sintetiza cele mai nobile aspiraţiuni ale omenirii
[10]
.
En second lieu,
Stere s’écarte de l’«orthodoxie» populiste
dans la mesure oùil
se refuse d’adopter une attitude anti-intellectuelle.
Par contre, résumant brièvement ses opinions à cet
égard, on dirait que la nation roumaine, tel qu’il la conçoit,
est une nation à laquelle les paysans donnent corps et
les intellectuels esprit. Ses propos sont d’ailleurs bien
clairs quant à ce point lorsqu’il affirme que :
… organul naţiunii, care are chemarea să afirme supremaţia
ei, mândria ei, puterea ei de viaţă şi stăpânirea
ei asupra însuşi destinului istoric, este – pe deasupra tuturor
formelor – opinia publică, aşa cum ea se cristalizează
în glasul intelectualilor ei. Coroana, guvernele, armata, presa,
- ca forţe reprezentative ale naţiunii – sunt în funcţiunea
conştiinţei de datorie şi a puterii de reacţiune
a intelectualilor : aceştia sunt creerul şi inima corpului
naţional
[11]
.
De sucroît, faisant
appel à l’expérience politique social-démocrate et
au constat de l’impossibilité d’une organisation politique
spontanée et autonome des «masses prolétaires», la
présence active des intellectuels dans la vie publique est érigée
au rang de condition encadrant la mise en place et le renforcement
des institutions sociales – entendues au sens large de pratiques
et de comportements collectives – à même de
rendre les institutions politiques démocratiques efficaces et
durables. Il serait donc question d’une condition sine
qua non du processus de modernisation démocratique puisque
les intellectuels constituent l’unique groupe capable de
prendre en charge cet «apprentissage» politique de
la nation.
Défenseur du
régime constitutionnel et du suffrage universel, Stere se déclare
en même temps conscient de l’invraisemblance des pratiques réellement
démocratiques - c’est-à-dire qui prennent en compte une volonté
issue d’un «peuple» défini de manière extensive - dans une société
dépourvue de l’«enracinement dans la vie publique des institutions
et des moeurs» propres à un tel système. Dès lors, soit qu’il
s’agit des travailleurs, soit qu’il s’agit des paysans, sa conclusion
est la même : c’est parce que les «masses» prolétaires ou
paysannes ne peuvent être par elles-mêmes des acteurs politiques,
toute forme rationnelle d’organisation politique ne saurait se
fonder que sur une étroite collaboration des intellectuels et
du «peuple», de la majorité :
În
sprijinul ţărănimii, în elementele ei mai conştiente
şi mai viguroase, trebuie să vină alte elemente
sociale : clasele mijlocii… şi mai ales intelectualii… Numai
printr-o colaborare strânsă între toate aceste elemente sociale,
într-o acţiune şi organizaţiune politică temeinică,
în care cu vremea să intre tot mai multe elemente din ţărănime,
în măsura în care pentru ea va fi tot mai accesibilă
viaţa politică conştientă şi lupta paşnică
şi legală, - numai prin această colaborare se poate
asigura rezolvarea problemei ce ni se impune în actuala fază
a dezvoltării noastre politice şi sociale
[12]
.
Troisièmement,
l’attitude politique dominante
du discours de Stere pourrait, sans doute, être qualifiée
de constructive. Il
est vrai, le jugement qu’il fait à l’adresse du régime et des
pratiques politiques de son époque est loin d’être positif dans
la mesure où il condamne l’impuissance des institutions publiques
– qui traduisent l’incapacité politique d’une élite coupée de
la nation - et les anomalies d’un système qui s’obstine à refuser
la participation politique générale, critiquant à la fois l’inaptitude
du parlement de donner corps à une volonté nationale et la tendance
de l’exécutif de mépriser le sens et la fonction de l’institution
représentative.
Pourtant, c’est
à une solution éminemment politique qu’il fait appel, à savoir
celle de fonder le régime politique sur le suffrage universel mis en ¶uvre dans un
régime de proportionnalité. Plus précisément, un tel régime, qui
reconnaîtrait pleinement de statut de citoyens à tous les membres
de la société et serait projeté sur un corps social fortement
structuré et organisé politiquement, ne saurait travailler, par
le biais de la représentation politique, de la justice et de l’administration,
qu’au bénéfice de la catégorie majoritaire de la société :
les paysans.
Autrement dit,
la solution politique immédiate et en même temps la plus simple
de la question paysanne, censée accompagner de très près la réforme
agraire entreprise sur le terrain économique, c’est justement
la démocratie, comprise dans le sens consacré
par le XIXe siècle, à savoir celui de la participation de tous les citoyens à la vie de la cité au moyens du
suffrage universel.
Ajoutons seulement
que l’attitude de Stere se révèle à cet égard typiquement «social-démocrate»
- au sens européen et contemporain du terme – dans la mesure où
la social-démocratie moderne prend contour et définit sa particularité
justement autour de la revendication du suffrage universel compris
comme stratégie privilégiée de modeler un régime politique mis
en question
[13]
. Autrement dit, c’est d’un esprit moderne dont
l’entreprise de Stere témoigne dans la mesure où il érige la représentation
populaire au rang de seul moyen
démocratique et d’unique instrument
politiquement recommandable
et universellement acceptable afin d’articuler
directement et de manière efficace le social et le politique.
Le populisme
ne se situe pas dans un rapport conflictuel irréconciliable avec
le socialisme. Par contre, en tant que pratique et technique de
mobilisation sociale à contenu doctrinaire relativement
peu articulé, il peut facilement emprunter la structure argumentative
du discours socialiste. Bien sûr, le populisme n’offre
pas et ne repose pas sur une idéologie, mais fait d’habitude
recours à un ensemble de solutions de conjoncture, plus
ou moins viables. Aussi, en lignes générales, dirait-on que, dans
la mesure où le populisme, entendu comme mixture bigarré
de principes idéologiques et comme pratique politique composite,
invoque le thème de la fracture sociale et compte sur un
discours à force mobilisatrice, il peut identifier dans
les idées socialistes un partenaire digne de confiance.
D’autre part,
autant du point de vue théorique que dans une perspective historique,
le socialisme a été vu comme une réaction idéologique et politique
aux conséquences sociales négatives de l’industrialisation. Par
conséquent, considéré comme idéal-type, il s’applique à ré-ordonner
les relations de production afin de répondre à une échelle aussi
large et d’une façon aussi complète que possible aux exigences
de la justice distributive au sein d’une société industrielle.
En revanche, le populisme se manifeste souvent sous la forme d’un
réplique au problème de l’industrialisation dans des société qui
se trouvent dans une «étape» de début de ce processus
[14]
. En outre, si l’idéal-type socialiste est enclin
à proposer une recette universelle du progrès social, le populisme
revêt plutôt l’habit d’une formule autogène de développement.
Si bien que, refusant d’avancer ou de se soumettre à un modèle
général de gestion du progrès, ce dernier tend à faire état des
particularités sociales et économiques de la société en cause
[15]
. Conséquemment, la pratique populiste peut
bien puiser à la rhétorique socialiste, en prenant à son compte
ses objectifs idéologiques. En échange, elle s’organise le plus
fréquemment selon certains «besoins» et certaines particularités
politiques, économiques et sociales du milieu.
Sans doute, en
dépit de l’attitude extrêmement critique à l’adresse de l’application
du projet socialiste en Roumanie, pour des raisons plutôt sociologiques
qu’idéologiques, Stere reste un penseur marxiste dans la mesure
où le projet qu’il élabore emprunte aux prémisses et aux raisonnements
formulés par Marx et surtout dans son sillage. Bien que le projet
poporaniste – par sa fidélité à la ligne
révisionniste – contredise la viabilité des lois marxistes de
l’évolution des sociétés, il reste toutefois un projet
de classe, dont les revendications reposent sur les arguments
de l’exploitation de classe et de l’injustice sociale et dont
le moteur du progrès social est toujours une classe sociale. La
classe, le groupe, les masses sont les personnages principaux
de son discours, un discours construit dans une perspective définie
par le holisme méthodologique. A vrai dire, pour revenir et soutenir
le rejet de toute attitude anti-intellectuelle chez Stere, on
dirait que, en dernière analyse, l’intellectuel – dont lui-même
est le cas de figure - est le seul individu
de son scénario, un individu défini avant tout par sa vocation
et son mérite, un individu qui est à la fois auteur
et acteur – dans un sens hobbessien -, un
auteur qui formule la «critique constructive»
du système et un acteur
dans la mesure où il se fait la voix d’un groupe qui ne saurait
encore agir par lui-même.
Au moment où
Stere écrit les articles qui constituent Social-democratism sau poporanism, la crise
suscitée au sein su socialisme allemand opposant les «orthodoxes»
aux «révisionnistes» est encore à la une
[16]
. Naturellement, Stere rejoint le camp révisionniste
dont l’histoire dans la pratique politique trouve sa source justement
dans le dilemme suscitée par le rapport problématique entre le
programme marxiste et la dynamique économique et politique de
l’espace rural
[17]
. Bien évidemment, l’approche poporaniste
prend en cible l’action politique et moins la polémique intellectuelle,
elle se voit investie en politiques et moins dans l’innovation
doctrinaire. C’est pourquoi, il n’y a rien de surprenant à ce
qu’il accentue sur les arguments qui portent sur la question paysanne
et sur les rectifications que ceux-ci apportent aux raisonnements
d’inspiration marxiste, en laissant en quelque sorte de côté la
controverse intellectuelle plus profonde qui sépare les membres
d’une même famille philosophique.
Lecteur attentif,
voire partisan de Marx – qu’il n’hésite à invoquer souvent à son
appui
[18]
- surtout quant à ses méthodes d’analyse
[19]
, Stere s’oppose fermement aux interprétations
du marxisme orthodoxe, représenté notamment par l’autrichien Kautsky,
dont il condamne la rigidité. En effet, comme il a été déjà dit,
le prétexte intellectuel de son projet est fournit par la critique
d’une approche social-démocrate du progrès dans un pays comme
la Roumanie, avec la mention explicite que la social-démocratie
c’est «la direction dogmatique du ’socialisme scientifique’, appelée
plus ironiquement ’orthodoxe’»
[20]
. On dirait que son rapport avec le socialisme
européen suit assez fidèlement la ligne de la dispute entre orthodoxes
et révisionnistes, les thèses bersteiniennes recevant à leur appui
des exemples empruntés à la réalité politico-économique roumaine
afin d’expliquer l’impossibilité de l’application du programme
social-démocrate dans un pays comme la Roumanie :
…
în ţările agricole programul social-democrat e o imposibilitate
(politică şi sociologică) şi un non-sens.
Şi pe lângă aceasta, în ele lipseşte chiar baza
materială pentru un partid social-democratic, - proletariatul
industrial, a cărui organizare şi luptă politică
singură poate duce la
cucerirea puterii politice în scopul de a revoluţiona
producţiunea. (…) şi chestiunea agrară … este singura
problemă proprie ce se impune pentru a fi rezolvată
de către societate, - şi rezolvată conform cu tendinţele
sociale ale ţărănimii, conform cu interesele ei
şi în sensul evoluţiunii proprii a producţiunii
agricole (...) şi numai o mişcare, după caracterul
ei, ţărănesc, poate fi aci
«
nu o mişcare a minorităţii în interesul unei minorităţi,
ci mişcarea majorităţii covârşitoare în interesul
majorităţii covârşitoare
»
, după cum se exprimă Manifestul Comunist
[21]
.
Il n’est pas
opportun de reproduire ici en détail le développement élaboré
par Stere. Disons seulement que son discours s’organise autour
de deux thèmes principaux du débat suscité par la question paysanne
au niveau européen : les vicissitudes du statut politique
et de la fonction sociale du paysan dans la doctrine marxiste
et le désaccord entre la dynamique économique agraire et la ligne
de l’évolution sociale tracée par le projet socialiste.
Beaucoup plus
intéressante dans le cas de notre analyse est la position globale
prise par Stere devant les thèses socialistes. Le socialisme
se voit ainsi attribuer deux sens contradictoires. D’une part,
selon une conception marxiste rigoureuse, le socialisme s’identifierait
a l’orthodoxisme de la social-démocratie refusée par Stere, tandis
qu’une seconde interprétation, cette fois soutenue et défendue
– qui subordonne la première et la transforme en simple
cas de figure – équivaudrait le socialisme (seulement) à
une clé de compréhension de l’évolution historique, résumant le
devenir des sociétés humaines au conflit perpétuel entre deux
principes radicalement opposés : la «solidarité sociale»
et la «libre concurrence».
Socialismul
deci, departe de a fi un produs exclusiv al vieţii economice
moderne, în fiecare din aceste faze istorice e reprezentat de
acele curente de idei şi de acele clase sociale cari afirmă
principiul solidarităţii sociale; socialdemocratismul
şi mişcarea proletariatului nu sunt ele însele decât
o fază trecătoare, mărginită în timp şi
spaţiu în evoluţia ideii de solidaritate socială
[22]
.
Il est finalement
à noter que, pour Stere, le socialisme ne représente plus
un véritable projet de société, un projet que l’on convient
suivre et dont les conditions d’applicabilité doivent être
atteintes ou attendues, mais seulement un «idéal social»
dont le triomphe nécessaire se réduit à une «façon
de parler»
[23]
. Autrement dit, la dynamique des sociétés obligerait
déjà – au début du siècle – les thèses marxistes
de quitter le terrain de l’idéologie pour s’installer dans l’espace, plus modeste
et moins aventureux, de l’idéal.
De ce point de vue, Stere rejoint de nouveaux la social-démocratie
moderne, celle qui a renoncé à la révolution et à
l’image d’une société future en faveur de l’amélioration
de la société en place au moyen des mécanismes de la démocratie
représentative
[24]
.
[1]
L’agrarianisme politique en
tant que phénomène partisan se développe dans la majorité
des pays de l’Europe Centrale et Orientale – mais
n’est pas pour autant exclusif à cette région géographique,
les pays scandinaves fournissant eux aussi un bon exemple –
au début du XXe siècle. Par exemple, outre
le cas roumain du Parti paysan, on rencontre des mouvements
agrariens en Pologne (le Parti paysan Piast), en Bohémie (le
Parti des fermiers et des petits paysans), en Serbie (le Parti
agraire serbe), en Croatie (le parti paysan croate) et non en
dernier lieu en Bulgarie (l’Union Nationale Agraire de
Stambolinski). Ce sont des partis qui, bien qu’ils relèvent,
en grandes lignes, de la même famille politique, se distinguent
souvent radicalement par les stratégies, les méthodes, voir
les revendications et les programmes formulés. Pour ne donner
qu’un exemple, tandis que les partis polonais et tchèque
se déclarent fermement en faveur d’une promotion de leurs
programmes dans le respect de l’ordre constitutionnel,
les agrariens bulgares n’hésitent à prendre ouvertement
une attitude révolutionnaire. C’est à l’Union
agraire bulgare qu’appartient l’initiative de la
création d’une organisation agrarienne transnationale,
organisation qui prendra naissance à Prague, en 1927,
sous le nom de l’Internationale Agraire ou Verte, instituée
toutefois suite à l’effort des agrariens tchèques
et qui, après une courte période de succès relatif,
se dissoudra suite à la grande crise économique. Voir
surtout Ghiţă Ionescu, «Populism in Eastern
Europe» in Ghiţă Ionescu, Ernest Gellner (eds.),
Populism. Its Meanings
and National Characteristics, Letchworth, 1969, pp. 97-121.
[2]
Ghiţă Ionescu, «Populism
in Eastern Europe», in Ghiţă Ionescu, Ernest
Gellner (eds.), Populism.
Its Meanings and National Characteristics,
Letchworth, 1969, loc.cit. Dans la même direction va la monographie de Ioan Căpreanu,
Eseul unei restituiri.
C. Stere, Iaşi, 1988, qui traduit le terme «poporanisme»
par «populisme», pp. 438-439.
[3]
Daniel Barbu, op.cit.,
pp. 93-94. L’auteur distingue à cette occasion
entre le populisme politique – dont le pérónisme serait la manifestation
principale – et le populisme agraire – qui circonscrit le narodnicisme
rus, le poporanisme roumain, mais aussi des phénomènes
comme le mouvement démocrate-populiste des fermiers américains
de W.J. Bryan.
[4]
Paul Drake, Socialism and Populism in Chile, 1932-1952,
Urbana, Chicago, London, 1978, p. 2.
[5]
Ibidem, pp. 6-7.
[6]
Peter Wiles, «A syndrome not
a doctrine: some elementary theses on populism» in Ghiţă
Ionescu, Ernest Gellner (eds.), Populism.
Its Meanings and National Characteristics, pp. 199-179.
[7]
Stere s’avère intransigeant
à cet égard : «Numai interesul, ignoranţa,
sau o idee fixă de maniac, poate explica visul industrializării
României», Social-democratism
sau poporanism, p. 99.
[8]
Constantin Stere, «Explicaţii
asupra poporanismului», in Aurora, 23 martie 1925. Z. Ornea, Ţărănismul. Studiu sociologic,
p. 105.
[9]
Constantin Stere, Social-democratism…, p. 78.
[10]
Ibidem, p. 178.
[11]
Constantin Stere, Documentări şi lămuriri politice,
Bucureşti, 1930, p.
166.
[12]
Constantin Stere, Social-democratism…,
pp. 189-190.
[13]
Bernard Manin, «Démocratie,
pluralisme, libéralisme», in Alain Bergouignoux, Bernard
Manin, Le régime social-démocrate, Paris, 1989,
pp. 23-56.
[14]
Paul Drake, op.cit.,
p. 6.
[15]
Ibidem,
p. 7.
[16]
Edouard Berstein publie la série d’articles
«Probleme des Sozialismus» en 1896, et Die
Voraussetzungen des Socialismus und die Aufgaben des Sozialdemokratie,
le livre de chevet du marxisme révisionniste, en 1899.
[17]
Leszek Kolakowski, Histoire
du marxisme, Paris, vol. II, pp. 119-121.
[18]
La fréquence des références et des
citations des textes marxistes et de l’école marxiste orthodoxe
(Karl Kautsky) ou révisionniste (Edouard Bernstein, Fr.O. Hertz),
mais aussi de certains auteurs étrangers à cette filiation (Mill,
Tocqueville, Compte) dans Social-democratism
sau poporanism font de Stere un auteur averti quant au fond
intellectuel de l’argumentation.
[19]
Stere avoue ouvertement avoir construit
son analyse partant des «prémisses de cette doctrine [marxiste],
faisant appel à l’autorité de ses chefs de file,
appliquant rigoureusement sa méthode dans l’examen de
non problèmes sociaux», Social-democratism…, p. 228.
[20]
Constantin Stere, Social-democratism…, p. 6, n. 1.
[21]
Ibidem, p. 50.
[22]
Ibidem, p. 230.
[23]
Ibidem, p. 122.
[24]
Voir Alain Bergouignoux, Bernard
Manin, Le régime social-démocrate, Paris, 1989.
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