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Le poporanisme. Le projet politique

 

La démocratie paysanne [1] fait sûrement et de manière presque automatique partie de l’identité intellectuelle et politique de Constantin Stere. Il s’agit sans doute et au-delà des développements ultérieurs, d’un syntagme qui reproduit fidèlement l’essence des convictions et des intentions politiques de Stere.

Le fil de l’argumentation au long duquel ce concept reçoit du sens enchaîne quatre repères, peuplenationdémocratieprogrès, qui constituent des pas indispensables de l’algorithme de construction du projet politique poporaniste, dont le dénominateur commun est la paysannerie.

Il convient de dire que dans les lignes de Social-democratism sau poporanism, le sens du mot peuple fait l’objet des développement plus amples [2] . En effet, Stere distingue trois sens fondamentaux, tous contenus et repris d’une manière plus ou moins critique par la vision poporaniste. Ainsi, le peuple serait tout d’abord et au sens le plus large «le groupe ethnique ayant un type culturel déterminé et une vie spirituelle commune» qui se développe et se renforce par le fait d’être ensemble - «împreună-vieţuire». A la dimension culturelle et ethnique s’ajoute la dimension politique – qui n’est initialement ni évidente, ni nécessaire - au moment où la communauté en cause décide de s’offrir comme cadre de son existence commune l’architecture politico-juridique de l’Etat puisque «l’Etat c’est un peuple organisé». Par conséquent, la «solidarité organique» du peuple est à doubler par la «solidarité organisée» construite par voie politique [3] . En second lieu, le peuple comprend

toate acele elemente sociale pozitive cari într-un moment dat au a îndeplini o anume menire istorică în dezvoltarea socială şi politică şi – în opoziţie cu elementele sociale negative – determină o nouă îndrumare în viaţa naţională şi socială.  

          La définition générale est, par la suite, restreinte à un sens plus limitatif : l’identification du peuple comporte un jugement de valeur dont le critère fondamental est fourni par le progrès social, un jugement à nuance idéologique et, à la fois, politique dans un sens en quelque sorte schmittien dans la mesure où il découpe la communauté politique entre amis et ennemis du développement social. Enfin,

sub denumirea de ’popor’ se cuprinde (mai ales de către socialişti) numai munca productivă în sensul strict al cuvântului, munca fizică de braţe, excluzându-se munca intelectuală.

Bien qu’il refuse, naturellement, l’exclusion opérée a travers cette dernière définition à fort caractère idéologique, Stere considère que cette dernière, sans contredire les deux premiers sens et identifiant le peuple à la «masse concrète des travailleurs», constitue le fondement essentiel de la vision poporaniste, justifiant sa légitimité démocratique et sa valeur de vérité. Dès lors, le poporanisme serait une conception politique démocratique - puisqu’il invoque l’«immense majorité» des «gens concrets qui travaillent» et dont les intérêts s’identifient aux intérêts de la société en son ensemble – et à la fois juste parce qu’il s’organise selon «le critère fondamental du jugement moral» : «le peuple qui travaille a toujours raison».

Elle est bien intéressante la manière dans laquelle Stere suggère ici une tentative de s’inscrire dans le paradigme de la théorie de la démocratie développée au fil du XVIIIe siècle et fondée sur l’hypothèse de la rationalité démocratique qui voit dans le processus politique une délibération rationnelle censée mener vers un certain intérêt général et dont le rôle est éminemment épistémologique : la quête de la vérité. En effet, partant d’une prémisse que Stere assume de façon implicite, ce type d’argumentation repose sur l’idée fondamentale selon laquelle les intérêts qui s’affrontent et animent une société se trouvent, en dernière analyse, en harmonie, tandis que les conflits qui peuvent apparaître ne représentent que des désaccords quant à l’identification d’un bien commun, désaccords qui peuvent être surmontés au moyens du débat rationnel. Dès lors, et dans un sens qui est confirmé de manière diffuse par le discours de Stere, la recherche de la véritable volonté générale aboutit, par le calcul démocratique des majorités et des minorités, à l’identification d’une vérité : l’avis de la majorité correspond à la réalité, tandis que la minorité a une image fausse de la volonté générale [4] .  Si l’on regarde l’histoire de la pensée sur la démocratie comme une séparation progressive de deux principes [5] , de la souveraineté populaire et l’intérêt général engendrant la «démocratie populaires» d’une part, et les droits de l’homme appuyant la «démocratie libérale» de l’autre, alors, bien que démocratique en toute rigueur formelle, le discours de Stere tend s’inscrire, de ce point de vue, dans la première lignée.

Revenant aux sens que Stere attribue au peuple, ce peuple, muni de cette triple définition, éprouve le besoin de la force et de l’unité politique de la nation pour pouvoir organiser par voie démocratique son épanouissement, un épanouissement compris sous les espèces de la modernisation politique et économique de la société.

Dans le cas roumain, l’agent social de ce processus ne saurait être celui que proposait l’idéologie marxiste, à savoir la classe prolétaire. Dans le cas roumain, l’agent social de la modernisation ne peut être que la paysannerie, décrite elle aussi en termes de classe sociale, mais munie de caractéristiques et définie par une dynamique radicalement différente de ceux qui sont associés au prolétariat industriel.

Aşadar, am dreptul să afirm că ţărănimea…, constituie o categorie socială deosebită, pe spinarea căreia s-au ridicat toate celelalte clase sociale, neexcept â nd şi proletariatul industrial. Şi aceasta nu o spun numai despre proletariatul nostru rom â nesc, care, - trăind dintr-o industrie, în mare parte factice, susţinută din bugetul alimentat de contribuţiunile ţărăneşti, - formează astfel in realitate o excrescenţă parazitară pe corpul ţărănimii. (…) Dar, lucru ciudat, nu există nici o clasă socială care, prin firea ei, să întrupeze atâtea elemente ale progresului social, oric â t de paradoxal al părea la prima vedere, ca tocmai ţărănimea, ca bază nediferenţiată a societăţii. (…) Progresul social însă, în această direcţie, nu numai că este cu putinţă, dar este singurul posibil pentru noi [6] .

Dès lors, le projet de Stere est à coup sûr un projet de classe, un projet de société où la paysannerie, vue par l’idéologie et la sociologie d’inspiration marxiste comme une composante insignifiante, amorphe, rétrograde, voire temporaire de la société moderne, se voit assigner le rôle central dans le changement social. par conséquent, sur le plan de la doctrine, la classe paysanne remplace un prolétariat qui s’avère dépourvu de spontanéité et trop fragile sociologiquement. Dans la vision poporaniste, le paysan ne saurait être le représentant rétrograde d’un ordre social en train de disparaître, mais le porteur même du progrès social.

La condition nécessaire et obligatoire du progrès résiderait dans la maturation politique de toute société fondée sur des solidarités organiques, maturation entendue comme prise de conscience du lien social «naturel». Tout groupe social et, à l’avis de Stere, tout groupe dont le lien social est de nature ethnique, doit avant tout s’offrir un cadre politique du développement. Autrement dit, la transformation et le renforcement du lien culturel par le lien politique constitue la prémisse indispensable de l’épanouissement.

… pentru nici o grupare etnică nu e cu putinţă un rol activ în progresul omenesc (…) decât dacă ea se constituie ca naţiune desvoltându-şi însuşirile spiritului său propriu, geniul său naţional [7] .

Il convient donc que toute discussion sur le progrès social et sur l’aménagement du bien commun dans une société donnée soit anticipée par la solution des disputes ou des interrogations concernant l’unité politique. C’est parce que le bien commun détermine une communauté politique dont l’étendue, la composition et les traits font l’objet d’un débat fondé sur un accord de principes.

Fiecare popor are nu numai dreptul, dar şi datoria să-şi afirme voinţa de a trăi ca o unitate, să tindă la plenitudinea de viaţă naţională şi să-şi apere fiinţa sa etnică. Aceasta pentru o naţiune nu este numai o datorie faţă de sine însăşi, faţă de jertfele tuturor generaţiilor trecute, ca şi faţă de aspiraţiunile celor viitoare, dar este şi o datorie faţă de omenirea întreagă, faţă de civilizaţia universală. Căci ce este omenirea decât o societate, o colaborare activă a tuturor elementelor din care se compune, în vederea scopului obştesc, în vederea acelor bunuri morale de ordine superioară care se cuprind în cuvântul «civilizaţie» [8] .

A noter que la perspective historique que Stere fait sienne témoigne d’une vision non-conflictuelle sur l’évolution des sociétés. Son discours est tenu principalement en termes moraux, de façon plus exacte en termes de droits et d’obligations de nature morale. Le lien entre politique et morale est par cela établi : la vertu politique réside dans l’accomplissement d’un devoir supérieur, dans la capacité d’organiser le développement de la nation.

Qui plus est, la nature des arguments que Stere entend apporter en faveur de son projet est éthico-politique. Autrement dit, le progrès – dans sa forme immédiate exprimée au moyen de la réforme agraire et de l’institution du suffrage universel – acquiert de valeur dans la mesure où il se manifeste comme dimension du bien commun. Un bien commun dont l’expression première et obligatoire est la solidarité nationale, une solidarité qui s’avère toujours problématique :

Românii sunt un popor ce este încă departe de acea concentraţiune şi coeziune naţională, condiţiunea necesară oricărui progres [9] .

Conséquemment, les réformes imaginées par le programme poporaniste auraient comme premier objectif le renforcement et la rationalisation du lien social, dans la perspective de l’accomplissement de l’unité politique :

Pentru mine, reforma agrară - ca şi cea electorală, strâns legată de ea – nu se înfăţişa numai ca o problemă socială de o importanţă covârşitoare – dar… şi ca o condiţiune necesară pentru afirmarea solidarităţii naţionale şi pentru înfăpturirea unirii. În starea ţărănimii din Regat, România nu putea servi ca centru de atracţiune pentru românimea de peste hotare [10] .

De la sorte, bien qu’il affirme que le lien national le plus fort est établi à travers la communauté linguistique, Stere se déclare conscient de l’insuffisance de ce critère de nature organique. La solidarité nationale n’est donc pas exclusivement un produit naturel, mais, en égale mesure, le fruit d’un travail de construction politique.

Où se trouve alors l’articulation des deux tableaux peints par Stere et dont la cohérence n’est pas évidente ? D’une part, la paysannerie, en sa qualité de classe appelée à produire le développement, est vue comme n’ayant pas encore atteint l’âge de la maturité politique ; en échange, le développement ne saurait se produire qu’au sein d’un cadre politique et à l’aide des instruments politiques. 

A vrai dire, en dépit du caractère éminemment rural et agraire de la société roumaine de l’époque et nonobstant la qualité d’agent social majeur qu’elle se voit attribuer, la classe paysanne n’est pas par elle même, aux yeux de Stere, un acteur du processus de modernisation, elle n’est pas un acteur politique.

A crede că la noi ţărănimea de rând poate avea acum de îndată un rol de iniţiativă şi o organizaţie politică proprie independentă, chiar în lupta ce se impune, fără amânare, pentru democratizarea ţării, - înseamnă a părăsi terenul ipotezelor permise pentru gândirea ştiinţifică [11] .

Or, le progrès social ne peut être accompli que par voie démocratique. Comme il a été déjà dit, Stere est un démocrate au sens qu’il prend le régime démocratique – entendu plus comme formule juridico-politique, que comme état de la société – pour le seul régime capable de répondre au besoins d’une société qui aspire à une existence politique légitime et stable.

Democratismul însă nu este numai o formulă abstractă a celui mai perfect guvernământ, nici numai un postulat ideal şi moral al demnităţii omeneşti. în împrejurările vieţii moderne, el este o condiţiune sine qua non a reuşitei în lupta popoarelor pentru existenţă, o condiţiune de conservare naţională, - ca singurul izvor al energiilor individuale neînfrânate, care poate asigura vitalitatea şi sănătatea unui neam (…) … democratismul nu este numai o condiţie indispensabilă pentru conservarea şi propăşirea naţiională, dar şi o condiţiune tot atât de indispensabilă şi a progresului social însuşi [12] .

En revanche, la démocratie moderne, la démocratie représentative que Stere soutient par sa revendication du suffrage universel, impose la constitution d’une élite politique et, à la fois, la mise en marche d’un régime de collaboration sociale car

Pretutindeni democratismul s-a născut ca rezultat al colaborării, în lupta politică, a claselor mijlocii (intelectualii în frunte) cu masele muncitoare [13] .

La stratégie politique majeure n’est dons pas la lutte des classe, ni la révolution. Stere reproche aux social-démocrates le manque de flexibilité,  justifié uniquement par une exagérée loyauté doctrinaire, quant au refus de la collaboration entre les composantes d’une société [14] . D’autre part, comme il a été déjà dit ci-dessus, la perspective de la révolution est dès le début écartée comme étant sinon «illicite ou criminelle» [15] , du moins complètement inopportune dans le cas roumain.

De même, pour ce qui est du cas roumain, la stratégie révolutionnaire s’avère finalement non seulement inutile - «aucune révolution n’est inévitable, si une réforme la rende inutile» [16] - mais elle est en mesure de mettre en péril l’existence du corps politique, la condition sine qua non du progrès :

… îmi dau seama tot aşa de bine ca şi orişicine de toate scăderile şi de toate nemerniciile vieţii noastre de stat, în faţa acestei chemări !… dacă însă ele ne îndeamnă spre o politică hotărâtă de reforme adânci şi largi, - ele nu ne pot ierta, în împrejurările concrete, o acţiune revoluţionară, care ar atinge la rădăcină puterea însăşi a statului [17] .

La politique poporaniste est, par conséquent, dans le sillage du marxisme révisionniste, une politique de réformes. Tout comme dans le cas de la social-démocratie moderne, l’idéal de la révolution et de la lutte de classe est écarté en faveur des améliorations pacifiques et surtout légales. A l’exemple des social-démocrates européens, contraints en quelque sorte de devenir démocrates, au sens le plus propre du mot, par leur attachement au suffrage universel, Stere voit dans le régime démocratique une manière plus appropriée et plus fertile d’affirmer la force de la majorité. Malgré sa faiblesse devant les tentatives organisées de perversion ou de déviation, la chance de l’amélioration, de la contestation et de la revendication pacifique de la justice érige la procédure démocratique, du point de vue de sa qualité et de son efficacité, au-dessus du coup révolutionnaire.

En même temps, la défense de la démocratie représente une plaidoyer singulier en faveur du politique et de l’invention politique. Le réquisitoire du système oligarchique, de «la vie publique roumaine, immobilisée entre l’attente de la ’transformation sociale en Europe’ et la tentation de la révolution» [18] et la condamnation de l’absence de toute «vie citoyenne» [19] à même d’inclure tous les membres de la société est mis en équilibre par la défense de la dynamique politique libre, de la décision résolue et de la confrontation des idées au sein des institutions démocratiques :

Viaţa politică nu e cu putinţă fără… «politic㻺i «politiciani» (…), interesul superior nu cere înlăturarea vieţii politice înseşi, ci numai o îndrumare a ei în alte direcţii şi, prin urmare, impune crearea unor anumite condiţiuni, - adică tocmai democratizarea instituţiunilor noastre [20] .

A l’attachement au suffrage universel et au pluralisme politique s’ajoute, comme il était à attendre, la revendication de la justice sociale. La démocratie rurale qu’il décrit et en faveur de laquelle il prône n’est pas seulement un régime politique qui assurerait à tous la plénitude des droits politiques. De même, la démocratie de Stere impose, à la fois, un certain aménagement socio-économique.

Dacă progresul politic pentru noi se rezumă în idealul unei democraţii rurale, evoluţiunea noastră economică, ca şi înfăţişarea statului nostru, vor trebui, necesar, să-şi păstreze întotdeauna caracterul lor specific ţărănesc, şi progresul economic, deci, trebuie să ne conducă înainte de toate spre organizarea întregii gospodării naţionale pe temelii ţărăneşti : o ţărănime viguroasă, stăpână pe pământul pe care îl munceşte şi pentru care, prin organizarea unui sistem desăvârşit de societăţi cooperative, avantajele micii proprietăţi sunt împreunate cu toate avantajele tehnice, accesibile astăzi pentru marea proprietate [21] .

Par conséquent, la démocratie rurale décrit une façon, plus ou moins utopique, de «rendre justice» au niveau économique et social à une catégorie sociale majoritaire. Si, dans sa définition la plus simple, la justice c’est «donner à chacun ce qui lui est dû», alors, en tant que groupe social qui participe pleinement à la réalisation du bien commun, la paysannerie est celle dont les voeux fourniraient le critère d’une organisation juste en mesure de récompenser son effort.

… singurul mijloc de a ne apropia de realizarea acestui progres constă : în întărirea economică a ţărănimii, ca atare ; în ridicarea culturii sale generale ; în îndepărtarea tuturor piedecilor din calea desvoltării sale libere ; - într-un cuvânt, calea progresului social nu poate fi deschisă pentru noi decât prin realizarea unei adevărate democraţii rurale româneşti [22] .

Le progrès social que Stere imagine n’est en dernière instance que la rationalisation d’un développement organique. Un développement organique puisque censé mettre en valeur et, simultanément, laisser intacte une constante socio-économique de la société roumaine : la prééminence sociologique et économique de la paysannerie dans la composition de la nation. L’aménagement politique et l’organisation économique sont dès lors rapportés au bénéfice symbolique et réel de la classe paysanne [23] .

Qui sont donc les agents du bien commun dans le projet construit par Stere, qui sont les groupes sociaux censés accomplir les étapes du processus de modernisation ?

Comme il a été déjà dit, les paysans, en leur qualité de catégorie sociale majoritaire, ne se trouvent encore pas à l’âge de la maturité politique, il ne sont pas encore capables de parler pour eux-mêmes. Par conséquent, la paysannerie ne se constitue pas encore en sujet social autonome [24] . Dès lors, bien que ayant assigné le statut de bénéficiaires majeurs des fruits du progrès social, ils ne sont pas reconnus comme acteurs de ce processus.

D’autre part, le régime démocratique, tel qu’il est décrit en Social-democratism sau poporanism, est par excellence un régime de collaboration que apporte au devant de la scène une «alliance progressiste» définie dans les termes d’une véritable «armée démocratique» [25] qui amène ensemble la paysannerie, la petite bourgeoisie et les intellectuels. Il convient de noter que, au-delà de la participation en quelque sorte spontanée au bien commun dans la mesure où les participantes conçoivent leur action politique commune sous la forme de l’atteinte de certains intérêts réciproques, la solidarité de ces groupes est, à l’avis de Stere, rationnelle puisque chacun peut entrevoir un bénéfice réel tiré de la démocratisation des institutions politiques et du réaménagement des principes de la vie sociale et de la dynamique économique.

Dans cette perspective, la petite bourgeoisie, tant rurale qu’urbaine, qui sent non seulement recevoir une récompense symbolique inappropriée dans le système en place, mais qui se voit aussi victime politique du régime, peut espérer tant un affermissement de sa position économique à la suite d’un épanouissement du commerce dû à la virtuelle consolidation de la position économique et au «renforcement du pouvoir de consommation» de la paysannerie, qu’un accès plus ouvert aux ressources symboliques, notamment au pouvoir politique au niveau national et local.

D’autre part, les intellectuels ont, à leur tour, l’intérêt de soutenir le régime démocratique reformé puisque, en principe, il assurerait l’accès libre à la notoriété selon l’unique critère de la valeur personnelle. Il a été déjà dit que, dans le projet poporaniste, les intellectuels occupent une place privilégiée. Rejetant les critiques formulées à l’adresse de l’inteligentzia par la littérature socialiste, Stere affirme que les intellectuels représentent toujours et en toute société «une classe ayant une fonction sociale spécifique et faisant partie des éléments sociaux positifs» [26] . Au moyen des mécanismes de la démocratie représentative, ils seraient les plus en droit d’assurer le gouvernement et de prendre en charge la responsabilité de la décision politique. Autrement dit, la démocratie de Stere se définirait en dernière instance comme gouvernement des meilleurs en faveur des plus nombreux. La démocratie représentative imaginée par le poporanisme revêt l’habit d’une aristocratie élective.

Évidemment, au sein du régime démocratique, la représentation de la classe paysanne et, en égale mesure, des autres catégories sociales, ne peut de produire que d’une façon organisée par l’intermédiaire des partis politiques. La représentation proportionnelle fournit l’artifice à l’aide duquel le pouvoir social de la paysannerie est traduit en volonté politique. En effet, la transformation du pouvoir social en volonté politique réelle et manifeste représente, aux yeux de Stere, l’unique raison d’être des partis politiques :

Nici un partid politic nu are raţiune de a fi decât dacă poate urmări cucerirea puterii politice prin forţele lui proprii, pentru realizarea scopurilor sale sau, cel puţin, dacă poate avea o înrâurire directă şi pozitivă asupra afacerilor publice. Aceasta presupune însă că acel partid se poate efectiv răzima pe o anumită categorie de interese sociale, născute în sânul societăţii, ca problemele ei proprii. în afară de aceste condiţiuni nu poate naşte, trăi şi creşte un adevărat partid politic, ci, cel mult, o societate metafizică, un cenaclu literar, un cerc de admiraţie mutuală, un club de dezbateri – într-un cuvnt o grupare, poate de suflete nobile, care însă se mulţumesc cu conştiinţa superiorităţii lor în mijlocul acestei lumi păcătoase, fără să simtă nevoia unei acţiuni pozitive… [27]

Toutefois, la représentation mise en ¶uvre par le truchement de l’organisation partisane est censée rester toujours incomplète et cela non pas tant au niveau de la décision politique qu’au niveau de la mobilisation sociale :

Nici un partid de mase nu poate în adevăr înregimenta în cadrele sale toată clasa socială pe care se reazimă. Experienţa unor alte partide de această structură, ca cele socialiste, care se reazimă pe proletariatul industrial, ne dovedeşte cu vigoare acest adevăr [28] .

C’est pourquoi, pour le poporanisme, la représentation politique doit être complétée par un mandat impératif d’ordre moral destiné à vérifier et actualiser la fonction positive des partis politiques dans la poursuite du bien commun.

Din punctul de vedere al mecanismului de progres în sfera socială şi politică, în adevăr, un partid nu are dreptul să revendice «puterea» decât pentru realizarea programului care întrupează aspiraţiunile acelor categorii sociale pe care el le reprezintă [29] .

A la différence de ses contemporains plus illustres, Roberto Michels ou Michel Ostrogorski, concentrés relativement dans la même époque sur l’étude de la fonction représentative et du rôle des partis politiques, Stere adopte une perspective à dimension éthique évidente au moment où il définit la signification et la mission politiques des partis. Celui-ci serait donc chargé de représenter ce que l’on pourrait appeler les «intérêts moraux» d’un groupe social auxquels tout type d’intérêt économique se voit ordonné. Dès lors, de cette manière, la démocratie paysanne est, avant tout, une construction éthique



[1] Le concept de démocratie rurale ou paysanne sera remplacé et développé plus tard par celui d’Etat paysan. Bien que cette démocratie paysanne imaginée par Stere anticipe les thèses de l’Etat paysan, celui-ci ne gagnera vraiment de poids dans la doctrine du Parti paysan qu’au début des années ’30, sans jouir toutefois de réels approfondissements doctrinaires. Il convient d’ajouter que, tel qu’il ressort des propos des représentants de ce courant de pensée, l’Etat paysan apparaît plutôt comme un idéal social à suivre de façon graduelle qu’en tant que projet viable de réforme sociale. Voir à cet égard Z. Ornea, Ţărănismul. Studiu sociologic, pp. 315-325.

[2] Constantin Stere, Social-democratism…, pp. 236-240. Les citations qui suivent, sauf indication contraire, sont reprise de cette partie du texte.

[3] On emploie ces syntagmes dans le sens arrêté par Alexandru Duţu, Ideea de Europa. Evoluţia conştiinţei europene, Bucureşti, 1999, surtout le chapitre «Binele comun şi mâna invizibilă», pp. 114-154.

[4] Voir Adam Przeworski, Democratia şi economia de piaţă. Reformele politice şi economice în Europa de Est şi în America Latină, trad. D.-I. Paradowski, Bucarest, 1996, pp. 101-102.

[5] Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, 1992, p. 376.

[6] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 70-73.

[7] Ibidem, pp. 125-126.

[8] Constantin Stere, Singur împotriva tuturor, p. 89.

[9] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 242.

[10] Constantin Stere, Documentări şi lămuriri politice, p. 17.

[11] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 197.

[12] Ibidem, pp. 186-187.

[13] Ibidem, p. 191.

[14] «Necesitatea colaborării politice între elementele menţionate [ţărani, burghezie urbană, intelectuali] apare cu desăvârşire necompatibilă cu formele sacramentale curente ale politicei social-democrate, pătrunsă de credinţa în antagonismul indelebil de clase», Constantin Stere, Social-democratism…, p. 190.

[15] Constantin Stere, Documentări şi lămuriri politice, p. 185.

[16] Constantin Stere cité par  Costin Muergescu, Mersul ideilor economice la români, vol. II, p. 135.

[17] Constantin Stere, Social-democratism…, pp. 177-178.

[18] Ibidem, p. 183.

[19] Ibidem,  p. 197.

[20] Ibidem, p. 200.

[21] Ibidem, p. 213.

[22] Ibidem, p. 74.

[23] Sans nier la possibilité d’un développement particulier de l’industrie nationale, Stere imagine un type d’organisation industrielle censé être et rester un auxiliaire de l’économie agraire autant du point de vue de son poids économique, que sous le rapport du support sociologique. Autrement dit, un type d’organisation à même de ne pas mener, à moyen et long terme, à la prolétarisation d’une partie importante de la paysannerie : «un tip de organizaţie industrială care, fără să distragă populaţiunea muncitoare de la munca câmpului în lunile de vară, să-i dea o ocupaţiune productivă în lunile de iarnă (…) în astfel de condiţiuni nu se poate dezvolta decât industria casnică, o industrie ţărănească pentru care piaţa externă nu este indispensabilă şi care tinde în primul rând de a satisface cerinţele consumaţiunii interne», C. Stere, Social-democratism…, pp. 214-215.

[24] «Parler de soi implique de se débarasser des porte-paroles imposés pour se constituer en sujet autonome», Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, Paris, 1998, p. 285.

[25] Constantin Stere, Social-democratism…, pp. 196-207. Il est à remarquer que le langage dont Stere entend user pour décrire le processus de démocratisation et de modernisation acquiert des connotations militaristes, se rapprochant ainsi de la rhétorique socialiste qui en emploie abondamment à la fin du XIXe siècle.

[26] Constantin Stere, Social-democratism…, p. 203.

[27] Ibidem, p. 8.

[28] Constantin Stere, Documentări şi lămuriri politice, p. 70.

[29] Ibidem, p. 168.

 

 

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