L’affluence
de latinismes n’a pas eu un effet nivellateur général. Il y a
des différences entre les langues en ce qui concerne:
·
la préférence
pour un mot-base, là où une autre langue romane préfère:
– un dérivé emprunté
capax en portugais, espagnol, catalan et italien vs
capabilis en français
et en roumain; fallax en portugais, espagnol, catalan, italien vs fallaciosus en français; serius en portugais, espagnol et italien vs seriosus en catalan, en français et en
roumain.
Le
français, plus que les autres langues romanes, manifeste de
la préférence pour ce type de dérivés; si les dérivés en
question ont été empruntés aussi par d’autres langues, où ils
coexistent à côté des mots-base, ceux-ci ont gagné le terrain:
ptg.,
esp. eterno, cat. etern, it. eterno équivalent
au fr. éternel (ptg., esp., cat. eternal, it.
eternale ne manquent pas dans les grandes dictionnaires,
mais ne sont pas repris dans les dictionnaires de petites dimensions,
d’ailleurs it. eternale est accompagné de la marque †)
fr.
anxiété équivaut dans les autres langues romanes non
seulement à des emprunts à anxietas, mais aussi aux continuateurs
de anxia, que le français ne connaît pas
–
un dérivé à radical «libre»
les
thèmes forts du supin latin, qui ont donné naissance à des adjectifs
ou à des substantifs, ont eu moins de succés en français, qui
leur a préféré des formes faibles; à côté de abrupte, abjecte,
abstrait, adepte, adjoint, circonspect, conscrit, correct,
exact, exempt, etc., le français n’a pas emprunté absorptus (fr. absorbé), acceptus (fr. accepté), addictus, ambitus, assumptus,
attentus, attritus, convictus, defectus, eventus, exceptus,
exercitus, exhaustus, exitus, expeditus, ignotus, etc.;
des noms d’action formés sur la base du thème du supin
comme abortus, fremitus, mugitus,
vomitus connaissent en français des équivalents dérivés
à partir de la base verbale: avortement, frémissement,
mugissement, vomissement
–
un dérivé à radical «lié»
des
adjectifs nouveaux sont formés en français à l’aide de -alis: ptg., esp. congénito, cat. congènit, it. congenito – fr. congénital, roum. congenital; fraternus, maternus, paternus existent dans toutes les langues romanes sous
la forme base, sauf en français où sur leur base on a formé
les dérivés à radical «lié»: fraternel, maternel, paternel (à côté de paterne)
les
adjectifs latins en -uus
n’ont pas été tous favorablement accueillis en français (voir
4.2.2.2.3.) qui a préféré des dérivés[1] (mutuus → ptg. mútuo, esp. mutuo, cat. mutu, it.
mutuo, roum. mutuu (rare), mais fr. mutuel;
perpetuus → ptg. perpétuo, esp. perpetuo, cat.
perpetu, it. perpetuo, roum. perpetuu,
mais fr. perpétuel)
·
l’attitude
différente à l’égard des suffixes ou des préfixes; les mêmes
racines peuvent se combiner avec des suffixes ou préfixes différents,
selon une préférence que les langues leur ont accordées:
Il
s’agit par exemple de dérives avec le suffixe -tas,
formant des noms déadjectivaux; le français semble plus fidèle
à l’emprunt latin, tandis que les autres langues romanes ont
préféré une autre formation dérivationnelle, empruntée elle
aussi, pour la plupart des cas: efficacitas (préféré en français et en roumain) partage le territoire roman avec efficacia (préféré dans les autres langues);
lascivia subsiste dans toutes les langues
occidentales, sauf en français, où lui correspond un dérivé en -tas; ptg. acididade, cat. aciditat,
fr. acidité, it. acidità, roum. aciditate
vs esp. acidez; ariditas, aviditas, frigiditas figurant en catalan, français, italien et roumain vs ptg., esp. aridez, ptg., esp. avidez, ptg.,
esp. frigidez; asperitas est
emprunté par toutes les langues, mais on lui préfère en espagnol aspereza; dexteritas en français et en roumain vs ptg., esp. destreza,
it. destrezza.
Les dérivés latins en -tio peuvent être concurrencés par
d’autres noms d’action: absorptio vs
it. assorbimento; ex(s)ultatio vs it. esultanza; incantatio vs esp. encantamiento,
it. incantesimo. Dans une situation pareille se trouvent
des dérivés régressifs déverbaux, moins fréquents en français,
auxquels on y préfère les formes en
-tio (cela
n’exlut pas l’emprunt de ces dérivés dans toutes les langues,
mais la concurrence avec les dérivés postverbaux a restreint
leur emploi): abjuratio vs
it. abiura; accusatio vs it. accusa; altercatio vs it. alterco; augmentatio vs ptg., esp., it. aumento;
condemnatio vs
esp. condena, it. condanna; confiscatio vs
it. confisca; conjuratio vs esp. conjura, conjuro,
it. congiura; consultatio vs
ptg., esp. consulta; denuntiatio vs ptg. denúncia, esp.,
it. denuncia; exoneratio vs
it. esonero; gratificatio vs it. gratifica; invitatio vs it. invito; pronuntiatio vs ptg. pronúncia, it. pronuncia, pronunzia; protestatio
vs ptg. protesto, esp., it. protesta, roum.
protest; reclamatio vs it. reclamo; renuntiatio vs ptg. renúncia, it.
rinuncia, rinunzia; sequestratio vs
it. sequestro; supplicatio vs ptg., esp. súplica, it. supplica; en roumain c’est un autre dérivé déverbal
(le soi disant «infinitif long») qui correspond dans bien des
cas aux dérivés en -tio: condamnare, confiscare, denunţare,
pronunţare, renunţare, rendant inutile l’emprunt.
·
la transparence
des dérivés; des dérivés empruntés ont été évincés par des créations
nouvelles sur le terrain roman, qui déclinent d’une manière
plus transparente leur statut de dérivés: ptg. adnexação
remplace adnexão; absolvição – absolução, perseguição
– persecução, etc.
·
la constitution
de séries paradigmatiques homogènes / hétérogènes: l’italien,
où le rapprochement entre la forme héritée et la forme savante
se réalise aisément, se caractérise par une variation dans
l’emploi des radicaux / dérivatifs hérités et savants,
qui est encore enregistrée dans les dictionnaires explicatifs;
n’affectant pas la compréhension, cette multiplicité
de variantes n’est qu’apparente: toutes les séquences appartiennent
au lexique total, mais il y a sélection selon les registres
et / ou les niveaux de langue, peut-être même selon des habitudes
individuelles, etc. VLI indique dans la plupart des cas
le choix entrepris par la norme commune et fait accompagner
les variantes éliminées par des remarques du type: «vieilli,
poétique, littéraire, etc.». Dans les autres langues romanes,
la variation a été conclue plus vite et ne laisse presque
pas de traces dans les dictionnaires contemporains[2].