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L'ÉGLISE - CENTRE DE L'UNIVERS RESTAURÉ

L'Église, selon saint Cyrille d'Alexandrie, est "la cité sainte qui n'a pas été sanctifiée en observant la loi, - car la loi ne peut rien accomplir (He 7, 19) - mais en devenant conforme au Christ et en participant à la nature divine par la communication du Saint-Esprit, lequel nous a marqués de son sceau le jour de notre délivrance, lorsque nous avons été lavés de toute souillure et libérés de toute iniquité"[1]. C'est dans le corps du Christ que l'on trouve accès à la source de l'Esprit Saint, selon saint Irénée[2] .
Il faut donc être uni au corps du Christ pour recevoir la grâce du Saint-Esprit. Pourtant l'un et l'autre - l'union au Christ et la donation de la grâce - se font par le même Esprit. Saint Maxime distingue des modes différents de présence du Saint-Esprit dans le monde: "L'Esprit Saint, dit-il, est présent en tous les hommes sans exception, comme conservateur de toutes choses et vivificateur des semences naturelles; mais Il est particulièrement présent en tous ceux qui ont la loi, signalant les transgressions des commandements et rendant témoignage à la personne du Christ; quant aux chrétiens, l'Esprit Saint est présent en chacun d'entre eux, les rendant fils de Dieu; mais comme Donateur de la sagesse Il n'est guère présent en eux tous, mais seulement dans les raisonnables, c'est-à-dire en ceux qui, par leurs luttent et labeurs en Dieu, devinrent dignes de l'habitation déifiante du Saint-Esprit. Car tous ceux qui n'accomplissent point la volonté de Dieu n'ont pas le cœur raisonnable[3]." Ainsi, par rapport à l'union avec Dieu, l'univers se dispose selon des cercles concentriques où le milieu est tenu par l'Église, dont les membres deviennent fils de Dieu; pourtant, cette adoption n'est pas la fin dernière, car il y a un cercle encore plus étroit à l'intérieur de l'Église, celui des saints (des "raisonnables", twn sunientwn, selon le texte cité) qui entrent en union avec Dieu.

L'Église est le centre de l'univers, le milieu où se décident ses destinées. Tous sont appelés à entrer dans l'Église, car si l'homme est un microcosme, l'Église est un macro-anthropos, d'après saint Maxime[4] . Elle s'accroît et se compose dans l'histoire, en introduisant dans son sein, en unissant à Dieu les élus. Le monde vieillit et tombe en décrépitude, tandis que l'Église est constamment rajeunie et rénovée par le Saint-Esprit qui est la source de sa vie. À un moment donné, lorsque l'Église parviendra à la plénitude de sa croissance déterminée par la volonté de Dieu, le monde extérieur mourra, ayant consumé ses ressources vitales; quant à l'Église, elle apparaîtra dans sa gloire éternelle, comme le Royaume de Dieu. Elle se révèlera alors comme le vrai fondement des créatures qui ressusciteront dans l'incorruptibilité, pour être unies à Dieu devenu tout en toutes choses […]

Toutes les conditions nécessaires pour atteindre l'union avec Dieu sont données dans l'Église. C'est pourquoi les Pères grecs l'assimilent souvent au paradis terrestre, où les premiers hommes devaient parvenir à l'état déifié. On entre dans la vie éternelle par le baptême et la résurrection, selon saint Grégoire de Nysse. Le baptême, image de la mort du Christ, est déjà le commencement de notre résurrection, "la sortie du labyrinthe de la mort"[5] . Le corps du Christ, auquel les chrétiens sont unis par le baptême, devient, selon saint Athanase, "la racine de notre résurrection et de notre salut".

L'Église est quelque chose de plus grand que le paradis terrestre; l'état des chrétiens est meilleur que la condition des premiers hommes. On ne risque plus de perdre irrémédiablement la communion avec Dieu, étant contenus dans un seul corps, où circule le sang du Christ qui "nous purifie de tout péché, de toute souillure. Le Verbe a assumé la chair pour que nous puissions recevoir l'Esprit Saint"[6].

(d'après Vladimir Lossky, Théologie mystique de l'Église d'Orient, Paris, Éditions Montaigne, 1944, pp. 174-177)


[1] In Isaiam, V, I, c. 52, 1, P. G., t. 70, col. 1144 CD.

[2] Ad. Haeres, V, 24,1, P. G., t. 7, col. 966 s.

[3] Capita theologica et œconomica, Centurie I, 73, P. G., t. 90, col. 1209 A.

[4] Mystagogie, cap. II-IV, P. G., t. 91, col. 668-672.

[5] Oratio catechetica magna, cap. 35, P. G. t. 45, col. 88 ss.

[6] Saint Athanase, De incarnatione et contra Arianos, 8, P. G., t. 26, col. 996 C.