Dolores TOMA - Histoire des mentalités et cultures françaises |
L’histoire des mentalités et ses principes
Apparue vers 1960, comme un domaine de
la Nouvelle Histoire, l’Histoire des mentalités apportait cependant certains
changements qui nous font considérer qu’elle allait constituer une discipline
autonome. Elle se donnait de nouveaux objets d’étude: les sentiments, les
sensibilités, les croyances, les attitudes, l’imaginaire, les pratiques
culturelles, les symboles, la vie quotidienne. Elle mettait au premier plan un
autre facteur déterminant: non plus l’économique, mais le mental. Elle
s’alliait à d’autres sciences: anthropologie, psychologie sociale. Subordonnant
encore plus la dimension temporelle à l’immobilisme des structures, les
circonstances historiques aux espaces culturels, elle allait devenir une
nouvelle histoire de la nouvelle histoire.
L’Histoire des mentalités
n’est plus une science de ce qui s’est passé, mais de l’homme du passé. Elle
a complètement délaissé les faits et les dates pour se consacrer à l’étude
de l’homme et de son environnement matériel, « de la cave au grenier »,
selon l’expression de Michel
Vovelle. À l’étude de l’homme? Non, à l’étude des hommes, différents
à chaque époque historique, dans chaque culture. L’Homme
médiéval, L’Homme de la Renaissance, L’Homme romain, L’Homme égyptien, L’Homme
grec: ce sont autant de titres de la collection « L’Univers historique »
des Éditions du Seuil. Le dernier en date, par exemple, L’Homme des Lumières, sous la direction de Michel Vovelle,
présente les rôles spécifiques de
cette époque, ou bien les modèles de rôle spécifiques: le noble, le guerrier,
l’entrepreneur, l’homme de lettres, l’homme de science, l’artiste, l’explorateur,
le prêtre, le fonctionnaire, la femme. (On vérifie bien là la tendance dont
nous parlions: on n’a plus d’instrument pour analyser ce qui est commun à
l’homme des Lumières, mais seulement ce qui est propre à chaque catégorie
sociale et culturelle; cette éclipse des éléments universels en faveur des
différences spécifiques ne connaît qu’une limite: l’unité minimale doit être
une collectivité, un groupe et non pas un individu).
Afin de prouver que
cette discipline s’est donné dès le début l’homme comme objet d’étude on cite
parfois les paroles de Marc
Bloch, selon lequel « le bon historien, lui, ressemble à l’ogre
de la légende. Là où il flaire la chair humaine, il sait que là est son gibier ».
Mais ces paroles ne prouvent pas l’intérêt pour l’homme, elles prouvent l’intérêt
pour... la chair humaine. Elles ont un sens plus textuel qu’on ne le dit,
surtout dans l’histoire des mentalités qui étudie ce qui se situe sur la limite
entre le biologique et le culturel: techniques du corps, sensations, sensibilité,
« habitudes physiques, gestuelles, alimentaires, affectives » (A.
Burguière). En effet, c’est la chair du gibier qui intéresse.
Avant de définir cette
nouvelle discipline, de montrer ses principes ou de présenter certaines de
ses applications, citons une fois de plus Fernand
Braudel
qui a indiqué mieux que personne, dès 1963, dans la première édition de
la Grammaire des civilisations, son objet d’étude:
« À chaque époque,
une certaine représentation du monde et des choses, une mentalité collective
dominante anime, pénètre la masse entière de la société. Cette mentalité qui
dicte les attitudes, oriente les choix, enracine les préjugés, incline les
mouvements d’une société est éminemment un fait de civilisation. Beaucoup plus
encore que les accidents ou les circonstances historiques et sociales d’une
époque, elle est le fruit d’héritages lointains, de croyances, de peurs,
d’inquiétudes anciennes souvent presque inconscientes, au vrai le fruit d’une
immense contamination dont les germes sont perdus dans le passé et transmis à
travers des générations et des générations d’hommes. Les réactions d’une
société aux événements de l’heure, aux pressions qu’ils exercent sur elle,
obéissent moins à la logique, ou même à l’intérêt égoïste, qu’à ce commandement
informulé, informulable souvent et qui jaillit de l’inconscient collectif. Ces
valeurs fondamentales, ces structures psychologiques sont assurément ce que les
civilisations ont de moins communicable
les unes à l’égard des autres, ce qui les isole et les distingue le mieux. Et
ces mentalités sont également peu sensibles aux atteintes du temps. Elles
varient lentement, ne se transforment qu’après de longues incubations, peu
conscientes, elles aussi. »[i]
Avez-vous lu
attentivement ce texte? Relisez-le, c’est une Bible.
LES DIMENSIONS COLLECTIVES DE L’INDIVIDU
©
Universitatea din Bucuresti, 2002. |