Mariana TUTESCU, L'Argumentation
Introduction à l'étude du discours

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I. LA COOPÉRATION

                   1. La communication langagière obéit à un principe de base, à une loi fondamentale du discours que le philosophe du langage H. Paul GRICE postula sous le nom de principe de la coopération entre locuteur et destinataire - les deux participants essentiels de l'échange communicationnel.

                    Cette logique de la communication coopérative, basée sur des implications conventionnelles et surtout sur des implications conversationnelles, sur des réseaux d'inférences non-démonstratives, est clairement résumée par H. Paul GRICE lui-même, lorsqu'il écrit que « nos échanges de paroles sont le résultat, jusqu'à un certain point au moins, d'efforts de coopération; chaque participant reconnaît dans ces échanges (toujours jusqu'à un certain point) un but commun ou un ensemble de buts, ou au moins une direction acceptée par tous. Ce but ou cette direction peuvent être fixés dès le départ (par exemple par la proposition initiale de soumettre une question à la discussion), ou bien peuvent apparaître au cours de l'échange; ils peuvent être relativement bien définis, ou assez vagues pour laisser une latitude considérable aux participants (comme c'est le cas dans les conversations ordinaires et fortuites). Mais à chaque stade certaines manœuvres conversationnelles possibles seraient en fait rejetées comme inappropriées du point de vue conversationnel. Nous pourrions ainsi formuler en première approximation un principe général qu'on s'attendra à voir respecté par tous les participants: que votre contribution conversationnelle corresponde à ce qui est exigé de vous, au stade atteint par celle-ci, par le but ou la direction acceptés de l'échange parlé dans lequel vous êtes engagé » (H. P. GRICE, 1979: 60 - 61).

                    Si le but de la communication conversationnelle est le désir d'influencer le niveau de connaissance, l'univers épistémique de l'interlocuteur / destinataire, en vue de l'amener à une certaine conclusion ou activité, alors la coopération est le principe fondateur de tout échange verbal.

                   1.1. Le principe de la coopération est structuré en quatre règles ou maximes, nommées, en écho à KANT, la quantité, la qualité, la relation ou la pertinence et la manière.

                    La maxime de la quantité exige que toute contribution varbale contienne autant d'information qu'il est requis, ni plus ni moins d'information.

                    La maxime de la qualité exige que chaque intervenant n'affirme que ce qu'il croit être vrai ou ce pour quoi il a des preuves. Les règles spécifiques de cet axiome sont donc: « N'affirmez pas ce que vous croyez être faux » et « N'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves ».

                   À la relation ou pertinence, GRICE rattache la règle primordiale: « Parlez à propos ». Il s'agit de la maxime fondamentale de la coopération, qui exige que toute contribution verbale soit telle qu'elle puisse contribuer à la pertinence du discours.

                    La règle de la manière concerne la modalité ou la manière dont on doit dire ce que l'on dit, la forme du message. Celui-ci doit être clair, non ambigü, synthétique, méthodique.

                    Ces quatre maximes concernent l'efficacité du but de l'échange d'information, la capacité des protagonistes de la communication d'engendrer un discours efficace, persuasif, orienté vers une certaine conclusion, donc argumentatif.

                   1.2. Certes la communication discursive obéit aussi à d'autres règles, esthétiques, sociales ou morales. Parmi les règles visant l'ensemble des comportements sociaux et relevant d'une sorte de code des convenances, il faut citer la loi de politesse, dont un aspect fondamental serait fourni par la loi de la litote. Les règles concernant le comportement du Locuteur par rapport à son Auditeur se ramènent pour la plupart au principe: Ménagez autant que possible les faces négatives et positives de l'Auditeur.

                   • Face négative: «Évitez de donner à l'auditeur des ordres brutaux, de formuler des exigences inconsidérées, de marcher sur ses plates-bandes ».

                   • Face positive: « Évitez de donner à l'auditeur des choses désobligeantes, ou de se moquer de lui ».

                    Les règles concernant le comportement du Locuteur vis-à-vis de lui-même reposent sur le principe: Arrangez-vous pour ne pas perdre trop manifestement la face, qu'il s'agisse de votre face négative (« Sauvegardez, dans la mesure du possible, votre territoire, et protégez-vous des incursions par trop invahissantes ») ou positive (« Ne laissez pas impunément dégrader votre "image", répondez aux critiques, attaques et insultes et ne contribuez pas vous-même à cette dégradation ») (voir, à ce sujet, C. KERBRAT-ORECCHIONI, 1986: 235 - 236).

                    Relèvraient, par exemple, de ce principe:

                   • la loi de prudence, stipulant qu'on ne posera pas de question dont on n'aime pas la réponse, et qu'on n'affirme pas des choses désobligeantes qui léseraient les supérieurs;

                   • la loi de décence, qui exige qu'on évite les manifestations discursives trop débridées ou susceptibles d'être jugées choquantes, par leur teneur ou leurs formulations;

                   • la loi de dignité, conformément à laquelle le locuteur ne s'avilira pas, lorsqu'il sera par exemple contraint de faire marche arrière, sous la pression des événements;

                   • la loi de modestie ou règle des fleurs, selon laquelle il ne convient pas de se glorifier soi-même. Cette règle interdit que l'on se jette ostensiblement des fleurs à soi-même (C. KERBRAT-ORECCHIONI, 1986: 236).

                    Il est à rappeler que les règles du discours et de la coopération entre les partenaires de la communication s'appuient également sur les conditions de succès des actes de langage (établies par J. AUSTIN et J. SEARLE), qui sont autant de présupposés pragmatiques des énoncés.

                   2. Le principe de la coopération repose sur le respect des implications ou implicatures conversationnelles.

                    Si un locuteur A, debout à côté d'une voiture manifestement immobilisée, voit s'approcher de lui un personnage B, l'échange suivant s'instaure:

                   (1) A - Je suis en panne d'essence.

                    B - Il y a un pompiste au coin de la rue.

                   B enfreindrait la règle de pertinence s'il ne pensait pas ou ne considérait pas comme possible que la pompe de la station-service fonctionne, qu'elle y distribue de l'essence.

                    Dans l'exemple suivant, donné par H.P. GRICE, la maxime de la quantité est violée, mais cette transgression s'explique parce que cette règle entre en contradiction avec une autre règle, celle de la qualité, par exemple:

                   (2) A - Où habite Paul ?

                    B - Quelque part dans le Midi.

                    La réponse de B empiète sur la loi de la quantité, car elle ne contient pas assez d'information pour satisfaire A. Pourtant cette transgression est justifiée, puisque B, en vertu de la règle de la qualité ou sincérité, ne peut pas dire ce pour quoi il n'a pas assez de preuves.

                    Lorsque, lors d'une réception, un personnage A dit à un ami B:

                   (3) - Quel laidron, la femme de ton supérieur! Et agaçante, avec ça !,

                   B lui répliquera:

                   - Il fait beau, dehors. Veux-tu sortir prendre l'air ?

                    Cet échange conversationnel respecte le principe de la coopération et fait resotir les implicatures conversationnelles propres au postulat qu'on ne doit pas dire du mal des supérieures (loi de prudence).

                    Ainsi, à lire GRICE, un locuteur en émettant la proposition P a implicité la proposition Q si et seulement si les conditions suivantes sont remplies:

                    (a) Il faut qu'il n'y ait pas lieu de supposer qu'il n'observe pas les règles de la conversation, ou au moins le principe de coopération.

                    (b) Il faut ensuite supposer que ce locuteur sait ou pense que Q est nécessaire pour que le fait qu'il dise (ou fasse semblant de dire) P ne soit pas contradictoire avec la supposition (a).

                    (c) Le locuteur pense (et s'attend que l'intelocuteur pense que lui pense) que l'interlocuteur est capable de déduire ou de saisir intuitivement qu'il est absolument nécessaire de faire la supposition évoquée en (b) (voir H. P. GRICE, 1979: 64).

                    Le schéma de déclenchement d'une implicature conversationnelle est donc le suivant:

                    1. Le locuteur L a dit P.

                    2. Il n'y a pas lieu de supposer pour l'interlocuteur I que L n'observe pas les maximes conversationnelles ou du moins le principe de coopération (CP).

                    3. Pour cela, il fallait que L pense Q.

                    4. L sait (et sait que I sait que L sait) que I comprend qu'il est nécessaire de supposer que L pense Q.

                    5. L n'a rien fait pour empêcher I de penser Q.

                    6. L veut donc que I pense Q.

                    7. Donc L a implicité Q.

                   3. D. WILSON et S. SPERBER ont réduit le principe de la coopération à la seule règle de la pertinence. « Être pertinent, c'est amener l'auditeur à enrichir ou à modifier ses connaissances et ses conceptions. Cet enrichissement ou cette modification se fait au moyen d'un calcul dont les prémisses sont fournies par le savoir partagé, l'énoncé, et, le cas échéant, l'énonciation. Dans ce calcul, seules entrent, bien sûr, des prémisses que l'auditeur considère comme vraies » (D. WILSON et D. SPERBER, 1979: 90).

                    La pertinence d'un énoncé ou d'un discours est en proportion directe du nombre de conséquences pragmatiques qu'il entraîne pour l'auditeur et en proportion inverse de la richesse d'information qu'il contient.

                    L'auditeur tient pour axiomatique que le locuteur a fait de son mieux pour produire l'énoncé le plus pertinent possible.

                    La contribution du locuteur sera dite pertinente si, d'une part, il existe une relation entre l'énoncé et la situation de discours ou le contexte et si, d'autre part, l'implicature qui lui est associée est vraie: « elle sera par contre non pertinente si d'une part aucune relation avec la situation de discours ou le contexte n'existe et si, d'autre part, elle est fausse » (J. MOESCHLER, 1989: 115).

                    Définie par D. SPERBER et D. WILSON (1989) comme notion comparative, la pertinence repose sur deux principes de base, le premier visant les effets contextuels et le second l'effort de traitement. Plus

                   
                    1. Le locuteur L a dit P.

                    2. Il n'y a pas lieu de supposer pour l'interlocuteur I que L n'observe pas les maximes conversationnelles ou du moins le principe de coopération (CP).

                    3. Pour cela, il fallait que L pense Q.

                    4. L sait (et sait que I sait que L sait) que I comprend qu'il est nécessaire de supposer que L pense Q.

                    5. L n'a rien fait pour empêcher I de penser Q.

                    6. L veut donc que I pense Q.

                    7. Donc L a implicité Q.  

                  3. D. WILSON et S. SPERBER ont réduit le principe de la coopération à la seule règle de la pertinence. « Être pertinent, c'est amener l'auditeur à enrichir ou à modifier ses connaissances et ses conceptions. Cet enrichissement ou cette modification se fait au moyen d'un calcul dont les prémisses sont fournies par le savoir partagé, l'énoncé, et, le cas échéant, l'énonciation. Dans ce calcul, seules entrent, bien sûr, des prémisses que l'auditeur considère comme vraies » (D. WILSON et D. SPERBER, 1979: 90).

                    La pertinence d'un énoncé ou d'un discours est en proportion directe du nombre de conséquences pragmatiques qu'il entraîne pour l'auditeur et en proportion inverse de la richesse d'information qu'il contient.

                    L'auditeur tient pour axiomatique que le locuteur a fait de son mieux pour produire l'énoncé le plus pertinent possible.

                    La contribution du locuteur sera dite pertinente si, d'une part, il existe une relation entre l'énoncé et la situation de discours ou le contexte et si, d'autre part, l'implicature qui lui est associée est vraie: « elle sera par contre non pertinente si d'une part aucune relation avec la situation de discours ou le contexte n'existe et si, d'autre part, elle est fausse » (J. MOESCHLER, 1989: 115).

                    Définie par D. SPERBER et D. WILSON (1989) comme notion comparative, la pertinence repose sur deux principes de base, le premier visant les effets contextuels et le second l'effort de traitement. Plus l'effet cognitif produit par le traitement d'un énoncé donné est grand, plus grande sera la pertinence de cet énoncé pour l'individu qui l'a traité. Le second principe postule que plus l'effort requis pour le traitement d'un énoncé donné est important, moins grande sera la pertinence de cet énoncé pour l'individu qui l'a traité.

                    Dans le fonctionnement du principe de la coopération et des implicatures conversationnelles agissent les trois dispositifs de l'argumentation: le topique, le logique et l'encyclopédique.

                   4. L'argumentation est basée sur bon nombre de stratégies de coopération.

                   4.1. Il y a, tout d'abord, des réactions coopératives aux assertions. Le but poursuivi par l'énonciateur d'une assertion est de faire croire au destinataire que la proposition communiquée est vraie. « Admettre un énoncé assertif, c'est faire ce qui est demandé par l'acte d'assertion, à savoir croire » - avaient soutenu J.-Cl. ANSCOMBRE et O. DUCROT, 1983: 88).

                    Une réaction verbale sera coopérative « si elle s'accorde parfaitement avec la présupposition de la nouveauté de l'information fournie » (S. STATI, 1990: 99) et si elle respecte les axiomes du principe de coopération.

                   (4) - On passe à table.

                    - Voilà une bonne nouvelle !

                    Il est aisé de refaire l'inférence non-démonstrative ou l'implicature conversationnelle ainsi que la donnée encyclopédique qui sous-tendent la cohérence de cet échange.

                    Le plus souvent une réaction coopérative à une assertion justifie le bien-fondé de celle-ci.

                    Soit ce texte:

                   (5) Tranquillement, l'enfant arriva du fond du square et se planta devant la jeune fille.

                   « J'ai faim », dit l'enfant.

                    Ce fut pour l'homme l'occasion d'engager la conversation.

                   « C'est vrai que c'est l'heure du goûter », dit l'homme.

                   La jeune fille ne se formalisa pas. Au contraire, elle lui adressa un sourire de sympathie.

                   « Je crois, en effet, qu'il ne doit pas être loin de quatre heures et demie, l'heure de son goûter. »

                    Dans un panier à côté d'elle, sur le banc, elle prit deux tartines recouvertes de confiture et elle les donna à l'enfant (M. Duras, Le square).

                    L'intervention de l'enfant: J'ai faim est confirmée, justifiée et appuyée par celle de l'homme: C'est vrai que c'est l'heure du goûter, justification structurée par le modalisateur épistémique < CERTAIN> C'est vrai.

                    Une stratégie argumentative fréquente repose sur les réactions évaluatives (favorables ou défavorables) de l'interlocuteur, déclenchées par l'assertion de l'énonciateur:

                   (6) - Pierre a été reçu premier au concours.

                    - Bravo!

                   (7) - Le flic m'a flanqué une contravention.

                    - Le salaud!

                    Au même titre, l'assertion d'un événement rapporté pourra déclencher chez l'interlocuteur une réaction de compassion, de surprise, de satisfaction ou d'insatisfaction.

                   (8) - Marie s'est cassé la jambe.

                   - Oh, la pauvre! Il ne manquait plus que ça!

                   (9) « La crise ministérielle continue », titrent les journaux.

                    - Tant pis! se dit Jacques.

                   À l'assertion d'une opinion de l'énonciateur, l'interlocuteur pourra fournir une adhésion congruente, exprimée par un adverbe de phrase modalisateur:

                   (10) -Il a remporté le grand prix.

                    -Évidemment / Sans doute / Certainement / Heureusement.

                    Les stratégies argumentatives de coopération fournissent souvent des éléments informatifs de rectification, à même de contribuer à la progression rhématique du texte. Soit cet exemple:

                   (11) - Il est venu des médecins de l'extérieur et du personnel sanitaire.

                    - Oui, dit Rieux. Dix médecins et une centaine d'hommes. C'est beaucoup, apparemment. C'est à peine assez pour l'état présent dela maladie. Ce sera insuffisant si l'épidémie s'étend (A. Camus, La Peste).

                   4.2. Les réactions coopératives aux questions sont déclenchées surtout par l'appel d'information exigé par la question elle-même. La pertinence de toute question réside dans la capacité de son énonciateur à soutirer une réponse de la part de son interlocuteur / allocutaire.

                   4.2.1. Les réactions coopératives les plus banales se retrouvent donc dans les couples QUESTION - RÉPONSE.

                   (12) - Quelle heure est-il ?

                    - Il est midi.

                    Soit ce texte de DIDEROT, dont la cohérence argumentative repose tout entière sur le mariage dialogique des QUESTIONS et des RÉPONSES qu'on leur fournit:

                   (13) Comment s'étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s'appelaient-ils ? Que vous importe ? D'où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l'on sait où l'on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut (Jacques le fataliste et son maître).

                    Un énoncé de forme interrogative véhicule souvent une réponse coopérative d'acquiescement:

                   (14) - Voulez-vous participer à ce colloque ?

                    - Pourquoi pas ?

                   La question-écho exprime une quasi-approbation:

                   (15) - Êtes-vous contente ?

                    - Si je suis contente ?

                   4.2.2. La réponse à un acte de question peut être indirecte; les interlocuteurs mobilisent alors les implications (implicatures) conversationnelles. Le fonctionnement du principe de la coopération, sous-tendu par une inférence pragmatique pertinente, apparaît clairement dans de tels échanges communicationnelles:

                   (16) - Ce pauvre Léon! disait Charles, comment va-t-il vivre à Paris ?... S'y accoutumera-t-il ? Madame Bovary soupira.

                    - Allons donc! dit le pharmacien en claquant de la langue, les parties fines chez le traiteur! les bals masqués ! le champagne ! tout cela va rouler, je vous assure (G. Flaubert, Madame Bovary).

                   (17) - Est-ce que tu as peur, mère ?

                    - À mon âge, on ne craint plus grand-chose

                    (A. Camus, La Peste).

                    La stratégie d'indirectivité, analysée par J. SEARLE, repose sur le fait que « le locuteur communique à l'auditeur davantage qu'il ne dit effectivement, en prenant appui sur l'information d'arrière-plan, à la fois linguistique et non linguistique, qu'ils ont en commun, ainsi que sur les capacités générales de rationalité et d'inférence de l'auditeur » (1979: 73).

                    La théorie explicative des actes de langage indirects comprendra donc: une théorie des actes de langage, certains principes généraux de conversation coopérative, un arrière-plan ou prérequis d'informations encyclopédiques fondamentales que le locuteur ou l'auditeur ont en commun ainsi que la capacité de l'auditeur à faire des inférences. La convention joue un rôle particulier dans la cristallisation de l'indirectivité.

                    Dans l'acte de langage indirect un acte illocutoire primaire est accompli indirectement, par l'expression d'un acte secondaire littéral.

                    Ainsi dans (16), la réplique du pharmacien témoigne d'un acte indirect dont l'illocution primaire « Il vivra bien à Paris, il s'y accoutumera bien » est exprimée par un acte illocutoire littéral, secondaire, fait des exclamations: les parties fines chez le traiteur!, les bals masqués!, le champagne! et de la conclusion anaphorique: tout cela va rouler, je vous assure.

                    Dans (17), l'acte primaire de la réponse est Non, je n'ai pas peur; l'acte illocutoire secondaire, littéral est constitué par l'assertion À mon âge, on ne craint plus grand-chose.

                    J. SEARLE a reconstruit les dix étapes nécessaires à la dérivation de l'illocution primaire à partir de l'illocution littérale (voir J. SEARLE, 1979: 75 - 77). Le fait essentiel à démontrer est que la stratégie inférentielle devra établir d'abord que le but illocutoire primaire diverge du but littéral; ensuite on précisera quel est ce but illocutoire primaire.

                    G. FAUCONNIER (1981) a résumé le propre des actes de langage indirects en précisant que ceux-ci mettent en jeu trois principes essentiels de nature différente:

                    (a) le principe d'interruption, relatif aux actes symboliques en général;

                    (b) l'inférence invitée, propriété gricienne de la logique naturelle;

                    (c) l'anticipation sociale des actes, de nature sociologique.

                    Une assertion littérale telle:

                   (18) Je vais vous demander de déplacer votre voiture

                   est un acte symbolique de demande (question-requête) qui 'court-circuite' les conditions de succès des actes illocutoires directs. On s'étonnerait d'entendre (18) suivie par la demande qu'elle annonce littéralement; au contraire, (18) équivaut précisément à cette demande en vertu du « principe d'interruption ». L'expression de (18), en créant la situation S (annonce d'une demande prochaine) qui implique la situation S' (cette demande), rend du même coup la réalisation effective de S' superflue, et même carrément normale. « Le principe d'interruption n'offre pas seulement la possibilité d'un raccourci: parfois il l'impose, vraisemblablement en vertu d'une maxime gricienne plus générale de « brièveté » qui s'appliquerait à l'action sous toutes ses formes » (G. FAUCONNIER, 1981: 48).

                   4.3. Les réactions coopératives aux actes directifs (actes d'ordonner, de commander, de demander, de plaider, de supplier, de prier, de solliciter, de donner des instructions, d'interdire) représentent autant de stratégies argumentatives basées sur des actes de langage directs et indirects.

                   (19) - Tu as refusé cette offre avantageuse. Explique-toi!

                    - D'accord. D'abord je n'avais pas tout l'argent; ensuite je n'avais pas l'envie de faire cet achat.

                   (20) - « On ne parle pas de rats à table, Philippe. Je vous interdis à l'avenir de prononcer ces mots. » - « Votre père a raison », a dit la souris noire (A. Camus, La Peste).

                    Deux semblent être les traits déterminants de l'indirectivité: d'abord, la stratégie discursive qui permet d'établir l'existence d'un but illocutoire latent distinct du but illocutoire contenu dans le sens sémantique de la phrase; ensuite, la procédure inférentielle qui permet de trouver en quoi consiste le but illocutoire latent. On voit ainsi comment s'établit la synthèse d'une théorie des actes de langage avec l'analyse conversationnelle (sous-tendue par le principe gricéen de la coopération) et l'argumentation, structurée par ses trois dispositifs indissociables: le topique, le logique et l'encyclopédique.

 

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Last update: February, 2005
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